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CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

BONNE-AMIE

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Pendant cinq ans, Jean Vivien fui obsédé par un rêve, avoir une bicyclette à lui, bien à lui, une bicyclette neuve, et non un de ces rebuts de la ferraille dont usaient certains de ses camarades de l’usine.

Et, pour cela, pendant cinq ans, Jean Vivien mit de l’argent de côté. Pauvres économies qu’entamait trop souvent la dépense de quelque partie de plaisir où il se laissait entrainer, le dimanche, faible comme les autres devant la tentation du cabaret, buvant et s’enivrant comme les autres.

Mais un jour, après bien des hauts et des bas, Jean se rendit à la ville voisine et, le cœur tout serré d’émotion, acheta une bicyclette qu’il avait choisie depuis longtemps et sur laquelle, chaque fois qu’il passait devant la vitrine du marchand, il jetait un regard d’envie. C’était une Peugeot.

Dès qu’il l’eut à lui, bien à lui, sa joie fut immense. Il la ramena sur son dos par crainte de l’abîmer. L’après-midi, sur le place du village, il y eut cercle autour d’elle.

— Fichtre, disaient les nouveaux venus en voyant le nom de la marque, fichtre, tu te mets bien, toi !

On la soupesa. On la fit tourner. On l’examina dans ses moindres détails, on compta les écrous, on scruta les mystères du pédalier, on estima les mesures du cadre, le diamètre des tubes, le renforcement de la fourche, et devant ce tribunal de vrais connaisseurs, la bicyclette de Jean fut jugée parfaite.

Bridon, le contre-maître, vieux routier déjà et dont la compétence ne se discutait pas, conclut :