Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/236

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Heureux, et fort, et ordonné, et prévoyant et considéré, et tout cela grâce à elle. Aussi, comme il l’aimait ! Bonne-Amie, l’avait-il appelée. Il la soignait ainsi qu’un Arabe soigne son coursier. Il passait des heures à la faire reluire. Il l’enveloppait de linges durant les mauvais jours. Il parlait d’elle à sa femme comme d’une personne. Il la regardait avec affection, aussi content et aussi fier qu’à la première heure.

Or une grève survint, terrible et qui dura des mois, sans que rien en fît prévoir l’issue. Entre le patron et les ouvriers c’était une lutte à mort. Ni d’un côté ni de l’autre on ne céderait.

Jean, chargé de famille et confiant en son énergie, n’avait pu amasser que quelques sous. Il en vit rapidement la fin.

Sa femme tomba malade, l’aîné de ses enfants également. On dut payer des visites de médecin et prendre des médicaments chez le pharmacien.

Ce fut la gêne d’abord, puis la ruine, la misère. L’hiver était rude. Mais comment se chauffer ? Il y avait à peine de quoi se nourrir.

Et de fait un jour, on ne mangea point. On avait fait argent de tout. Il ne restait rien.

Si… Cependant… quelque chose restait, quelque chose dont personne n’osait parler, mais à qui l’on ne cessait de penser. Et ce n’est que le soir, après des heures de fièvre et de silence, que la femme de Jean lui dit :

— Tu devrais peut-être…

— Non, dit-il.

La nuit passa. Au matin, il murmura :

— C’est une vieille machine… plus de six ans que je l’ai… on n’en tirera pas cinquante francs.

La femme ne répondit pas,

Vers midi, un des enfants perdit con-