Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/237

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naissance. Alors Jean se leva et partit avec Bonne-Amie.

Oh ! cette dernière promenade ! Il la fit très vivement, de peur que le courage ne vint à lui manquer, et il avait tellement hâte aussi, en songeant à sa femme, aux visages douloureux et suppliants des petits !

Toutefois, aux portes de la ville, il s’arrêta et, assis sur le revers d’un talus, il contempla une fois encore sa fidèle compagne.

C’était donc vrai ? On allait se quitter ! Bonne-Amie passerait entre les mains d’un autre, un autre qui, certes, ne la soignerait pas comme lui, qui la brutaliserait peut-être ! Ah ! Bonne-Amie ! Il avait des remords envers elle se demandant s’il avait bien fait tout ce qu’il était possible de faire pour la sauver.

Mais l’heure avançait. Il se remit en route, la conduisant à la main, et il avait la sensation que doit éprouver celui qui mène au supplice quelque vieux animal, serviteur fidèle et résigné. En ville il marchait la tête basse. Il avait honte.

Le marchand était sur sa porte. Brusquement, la gorge étranglée, Jean lui dit :

— Voilà… j’en ai assez… combien m’en donnez-vous ?

L’homme examina longuement la bicyclette, réfléchit et prononça :

— La machine est vieille, mais c’est une Peugeot. Un coup de vernis, et elle ne moisira pas dans ma boutique. Allons, je donne cent francs, à cause de la marque.

Jean eut un éblouissement. Cent francs ! Le double du prix qu’il espérait. Ah ! Bonne-Amie, jusqu’à la fin elle lui serait secourable. Il en eut les larmes aux yeux.

Et pendant que l’homme lui comptait l’argent, il la serra contre lui, tendrement, ardemment.

— Bonne-Amie ! Bonne-Amie ! murmurait-il.

Et il s’en alla en courant pour ne pas éclater en sanglots.

Maurice LEBLANC.