Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/247

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CONTES DU SOLEIL ET DE LA PLUIE

JEUNE FILLE

Séparateur

Cette lettre bouleversa Mlle Frivolet. Aucune signature. Un assemblage de mots découpés dans un livre. Un papier fort commun, et cependant un choix d’expressions heureuses et délicates. Que de mystères !

Son cœur de jeune fille très mûre — Hermine Frivolet avait quarante ans, des charmes copieux dont sa petite taille exagérait le relief, beaucoup de bonté, de candeur et d’inélégance — son cœur était délicieusement ému. Et elle ne se lassait point de relire ces lignes précieuses.

« Mademoiselle, j’ai fait l’impossible pour étouffer le sentiment brûlant qui me dévore. Mais il n’est de guérison pour moi que dans la mort ou dans le couronnement de mon amour. J’y suis décidé. Dans un mois, jour pour jour, à huit heures précises du soir, traversez à bicyclette le bois des Ruisselles. Une main se posera sur votre épaule et vous conduira vers le bonheur.

« Excusez-moi de ne pas signer. À quoi bon ? Vous ne me connaissez pas. Et puis je suis ainsi, amoureux du mystère, ennemi du banal, avide d’émotions fortes et nouvelles. Cela vous déplaît-il ?

« Venez. Je vous attends… Je l’exige… Hermine, je le veux… »

— Il le veut il le veut, murmurait Mlle Frivolet, anxieuse et ravie.

Elle n’avait d’ailleurs aucune hésitation ; une jeune fille bien élevée dédaigne de telles missives et ne court pas aux rendez-vous que lui donne un inconnu. Non, elle n’irait point. Mais qui était-ce ? Voilà ce qui la passionnait.

Elle avait beau se creuser la tête : il n’y avait pas à Gerville un homme, un seul, capable d’écrire une lettre aussi joliment tournée, pas un seul dont l’esprit fût assez romanesque pour imaginer un enlèvement aussi original. Car c’était bel et bien un enlèvement auquel on lui proposait de se prêter.