Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/249

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Toujours avec les mêmes dispositions farouches, elle se fit confectionner un costume spécial, jupe courte et boléro. Elle était délicieuse ainsi, toute en largeur, comme ces images que reflètent les Miroirs déformateurs. Sous l’indispensable canotier sa figure couperosée, à la peau tendue, avait l’air d’un petit ballon d’enfant, trop gonflé. Elle se regardait avec satisfaction.

Les leçons de bicyclette furent pénibles. Et elle se demandait, non sans étonnement, pourquoi elle se soumettait à de si rudes épreuves, alors que sa décision demeurait immuable. Efforts surhumains, fatigues inouïes, familiarités du professeur qui l’empoignait où il pouvait pour rétablir l’équilibre compromis, plaisanteries des gamins qui couraient à ses côtés, elle accepta tout, comme si elle avait eu à remplir le plus impérieux des devoirs. Et Dieu sait l’énergie qu’elle dut employer à mettre d’accord avec la notion d’équilibre la masse débordante de ses charmes ! Il y en avait toujours un petit peu trop à droite, quand il n’y en avait pas un petit peu trop à gauche.

Et cependant au bout de quinze jours Hermine Frivolet pouvait se risquer seule. Et elle eut quinze jours encore pour se perfectionner, pour acquérir toute l’aisance nécessaire. N’y a-t-il pas dans la vie des circonstances solennelles où il faut réaliser l’impossible ?

Et au jour dit Hermine était prête, et résolue, d’autre part, à ne pas bouger de chez elle. Dès le matin elle mit sa maison en ordre, régla sa bonne, prit ses dispositions suprêmes (sait-on jamais ce qui vous attend ?) À sept heures du soir elle s’enferma dans sa chambre, inflexible, cramponnée à ses devoirs. À sept heures quarante elle dégringolait l’escalier et sautait à bicyclette.