Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/250

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La route descend au sortir de Gerville. Elle alla si vite qu’elle dut ralentir pour ne point arriver avant la minute fixée. Et puis la nuit venait rapidement. Mais elle aperçut dans l’ombre la masse plus sombre du bois des Ruisselles, et elle tressaillit : c’était là.

Bravement elle tourna sur la route qui s’y dirige. Cependant ses jambes devenaient plus molles, et son cœur l’étouffait. Elle espérait et redoutait à la fois. L’avait-on mystifiée ? Un homme, un homme véritable, l’attendait-il, amoureux anxieux et résolu ?

Elle s’engagea dans le bois. Il lui sembla que les arbres se refermaient derrière elle comme des portes enchantées. Plus jamais elle ne sortirait de cette prison. Soudain une plainte attrista l’espace, le miaulement lugubre du chat-huant. Elle frissonna de peur et fut près de se laisser tomber. Au même instant une main se posa sur son épaule, et une voix douce murmure :

— Venez, Hermine, laissez-moi vous conduire…

Son émotion fut si violente que des larmes coulèrent de ses yeux. Elle ne put distinguer que vaguement à son côté une silhouette élégante et mince, un peu penchée sur un guidon dont luisait le nickel. L’ombre épaisse qui dissimulait sa propre rougeur la rassura. Elle se tut, frissonnante de sensations délicieuses, recueillie dans son bonheur.

On sortit du bois. On prit la route de Chantal, puis on tourna, et l’on tourna encore. Hermine ne s’y reconnut plus. Mais qu’importait ! Elle se fût laissé conduire au bout du monde, et sans se soucier des chemins suivis. Elle ne s’appartenait point. Elle était la proie heureuse, l’esclave de la main puissante qui l’étreignait. Oh ! le miracle de cette main ! Il lui semblait que des sources intarissables de force et d’allégresse en découlaient. Elle se sentait vaillante, légère, rajeunie, capable de tous les efforts et de toutes les prouesses.

De temps en temps la douce voix murmurait :

— Hermine… c’est vous, Hermine…