Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/310

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Il se recoucha, las de cet effort. Je crus qu’il dormait de nouveau. Mais au bout d’un instant il reprit, d’une voix à peine perceptible :

— C’est le hasard qui a fait les choses… au début… J’étais souffrant, j’ai prié Paul de chercher un éditeur pour mes premiers contes. Mais je ne voulais pas signer… non… je suis timide, sauvage. Le bruit autour de mon nom me ferait horreur. Paul me dit : « Il faudra pourtant une signature quelconque ». — « Celle que tu voudras », lui répondis-je. Alors il donna la sienne.

J’eus un mouvement. Il reprit :

— Eh bien quoi ? Il a eu raison… C’était le seul moyen d’assurer ma tranquillité. À la longue n’aurait-on pas fini par arriver jusqu’à moi ? Tout est bien ainsi. Et je suis heureux… heureux et fier… oui, fier de mon Paul aimé. Je l’aime tant ! Tous les soirs il vient ici, à neuf heures, et il me raconte sa vie, ses exploits, les victoires qu’il remporte grâce à sa souplesse, à l’énergie de ses muscles, et celles qu’il doit à l’effort de mon cerveau. Et celles-là sont bien à moi, il me les offre, il me les dédie humblement, et, par lui, j’en savoure l’ivresse. Il est ma joie et mon orgueil, il est ma beauté et ma santé. Paul Archain représente un être complet, fait de lui et de moi, du meilleur de nous deux, de son corps puissant et de ma pensée ardente. Tout est bien ainsi. La nature avait donné à l’un la grâce et la force, à l’autre l’intelligence et l’esprit. Ne croyez-vous pas qu’il est plus intéressant de montrer au monde un Paul Archain paré de tous les dons, que de lui offrir ces deux spectacles affligeants : un cérébral physiquement déchu, et un merveilleux athlète de cerveau plutôt… plutôt moyen ?

Il se tut. J’eus l’impression que ces dernières paroles n’avaient pas été prononcées sans quelque dédain.

Maurice LEBLANC.