Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/330

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Elle s’interrompit. Nous la pressâmes de questions, soupçonnant qu’elle hésitait à nous raconter quelque aventure personnelle. Enfin, elle reprit avec un peu d’embarras d’abord, puis avec une émotion que le souvenir ravivait :

— J’ai inspiré, voilà cinq ans bientôt, un amour violent, presque sauvage. J’étais encore en deuil et j’habitais la campagne. À deux kilomètres de ma villa vint s’établir, je ne sais à la suite de quels événements, un gentilhomme basque, sans fortune, sans famille, M. d’Arsac. Je le rencontrai plusieurs fois sur la route ou à travers champs. Puis un jour il eut l’occasion de me ramener un de mes chevaux qui s’était échappé.

M. d’Arsac était petit, mince, de mine maladive et d’apparence frêle. C’est sans doute par là qu’il sut endormir ma défiance et qu’il réussit, non pas à entrer dans mon intimité, mais du moins à entretenir avec moi des relations de voisinage assez fréquentes et, je l’avoue, qui n’étaient pas sans quelque agrément. La solitude n’est supportable que si on peut la rompre de temps à autre, et M. d’Arsac avait une conversation intéressante, des manières fort distinguées et une réserve parfaite.

Quelle fut ma surprise, un jour où je l’avais reçu au salon, en le voyant tomber à mes genoux, et cela tout à coup, sans aucun préambule, comme s’il était pris d’un accès de folie, Et il se roulait à terre, et il criait, et il me demandait pardon, et il suppliait…

Je n’en revenais pas. Il m’aurait fait quelque déclaration banale et discrète que je l’aurais éconduit sur-le-champ. Mais cette scène de désespoir mélodramatique me stupéfiait. Des reproches eussent été absolument ridicules. Je ne savais que dire.

À la fin je lui ordonnai de se lever. Il obéit. Je murmurai :

— Vous êtes un bon comédien.

— Un comédien !