Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/459

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— La fille de Darlington ? Mais c’est une merveille, mon cher prince ! À Londres, cet hiver, c’était la « professionnal beauty » à la mode ! Nelly Darlington, fichtre !

— Et le père, si riche que cela ?

— Quatre cents millions.

Une petite flamme illumina les yeux ternes du prince. Il fit quelques pas, consulta sa montre et dit :

— Qu’est-ce que vous touchez pour ça ?

— Vingt-cinq louis mais je les abandonnerais volontiers à celui qui me tirerait d’embarras. Tenez, quel dommage que je n’ai pas de chauffeur sous la main. Votre soixante-chevaux ferait parfaitement l’affaire.

— Mais elle est découverte…

— Justement, c’est ce qu’il faut.

Dreux-Soubise tortilla sa moustache, consulta de nouveau sa montre, puis poussa Vernou du côté de la porte.

— Allons déjeûner. Je pars à midi.

Jamais route ne parut plus charmante au prince de Dreux-Soubise que la route nationale de Paris à Dieppe ; jamais villes plus sympathiques que Pontoise, Gisors, Gournay, Forges ; jamais campagne plus admirable que le Vexin normand et le pays de Bray.

L’espoir lui souriait enfin, mieux que l’espoir, la certitude d’un avenir meilleur. Il n’était que temps ! Criblé de dettes, harcelé par ses créanciers, il commençait à se décourager. Bel homme encore, portant bien, mais le cheveu déjà rare, les paupières fripées, les articulations lourdes, il ne pouvait guère plus compter sur la riche héritière. À Paris comme à New-York, il était brûlé.

Et voilà que les circonstances prennent soudain une tournure étrangement favorable ! La fille de Darlington, c’était vingt-cinq millions de dot, c’était une fortune énorme, invraisemblable, c’était le blason des Dreux-Soubise redoré à jamais.