Page:Leblanc — Contes du soleil et de la pluie, parus dans L’Auto, 1902-1907.djvu/61

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

compagnon de sa vie. N’est-ce point dans le déploiement brutal de notre nature physique que se révèlent le mieux nos dissemblances morales ? Ces trois compétiteurs, que je ne jugeais qu’au point grossier de la force, de l’élégance et de l’audace, étaient des amoureux. L’amour s’exprimait par leurs mouvements et leurs efforts. En ce langage secret, perceptible aux seules oreilles de Lauriane, qui donc l’emportait ?

Le dernier jour arriva. Il était temps, car un peu de haine commençait à diviser les rivaux. J’interrogeai Lauriane.

— Ma fille, voici l’heure. As-tu fait ton choix ? D’avance, je le ratifie. Tous trois me plaisent également. Lequel a su te plaire ? Géreuse, Longueville ou Beaupré ?

— Bertrand d’Avrezy, me dit-elle de sa voix calme.

Je fus stupéfait. D’Avrezy ! le seul qui eût subi l’humiliation de la défaite, et d’une défaite si évidente que lui-même avait dû l’avouer ! D’Avrezy, si pâle, si falot au regard des autres !

— Est-ce possible ! m’écriai-je. Mais c’est un faible, un vaincu. Les autres t’ont prouvé mille fois mieux leur amour !

— Mais lui m’a fait comprendre le sien mille fois mieux !

— Par quoi donc ?

— Par la parole.

Elle saisit mon bras et m’entraîna dans les allées désertes.

— Il parle, père. Les autres agissent, se démènent, s’efforcent, courent, galopent et montrent ainsi l’ardeur de leur amour. Lui me dit le sien, et c’est délicieux. Il sait parler. Il connaît les mots qui font trembler des pieds à la tête et qui donnent envie de tomber à genoux,