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Page:Leblanc - Ceux qui souffrent, recueil de nouvelles reconstitué par les journaux de 1892 à 1894.pdf/195

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Charlotte était pauvre. Aussi l’épousa-t-il. De caractère folâtre et d’aspect gracieux, elle emplit de gaieté la demeure d’Abraham. Il l’aimait beaucoup. Il l’aimait assez pour rire de ses espiègleries.

— Mon gros chien, disait-elle, faites le beau… Allons, vite, debout…

Au moins celle-là, lui devant tout, ne le méconnaîtrait pas. Elle ne le méconnut pas, mais le trompa. Une lettre anonyme l’en avertit. « J’ignorais, écrivait-on, que les chiens eussent des cornes… »

Charlotte avoua sa trahison : « Que veux-tu ? c’est de ta faute ; je ne peux pas te prendre au sérieux, tu as un si drôle de nom ! Pour moi, tu n’es pas un homme… tu es… tu es un chien… Il la mit à la porte et l’enrichit. À quoi bon cette libéralité ! On ne tint compte que de sa rigueur avec Charlotte : « La malheureuse, faut-il qu’il soit chien ! »

Il protesta.

— Pourtant, elle m’a trompé ! C’est mon droit. Moi, je lui étais fidèle…

— Comme un chien, murmura son interlocuteur.

N’est-ce pas atroce ? Être généreux et désintéressé, se soucier de son or comme d’un caillou, et néanmoins ployer sous une réputation d’avarice. Et cela pour un nom ! Un nom, cette chose secondaire, insignifiante, lui interdisait le bonheur. Le nom sert à distinguer un homme d’un autre. Son nom, à lui, le