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prendre leurs regrets ou leurs désirs, nous initier à ce quelque chose de mystérieux par quoi cet homme est différent de cet autre.

Moi, je vais plus loin. Qu’une particularité quelconque m’intrigue chez telle personne, je m’attache à elle, je lie conversation, je m’introduis dans son intimité, je gagne sa confiance, au besoin je lui rends service, et j’attends patiemment et anxieusement la crise d’expansion.

Jamais je n’ai subi d’échec. Longues quelquefois, mes recherches aboutissent toujours. Je possède ainsi des secrets terribles, des secrets de gens qui me connaissaient à peine et que je n’ai plus revus.

Mais ma joie n’est pas l’a. Elle réside avant tout dans la chasse au secret et dans la capitulation de l’adversaire. Quand il se décide à parler, j’ai la volupté farouche et formidable de l’aigle qui enserre une proie longtemps poursuivie.

Jouissance inexprimable ! Je sais alors ce qui flétrit cette âme ou ce qui l’épanouit. Je sais sa tare, sa noblesse, son vice, sa vertu, son principe de honte ou de fierté. Je suis maître d’elle.