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Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/36

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Ce quelque chose, c’était le numéro de la revue France-Pologne contenant les trois portraits et leur commentaire.

— Hein, ça va en faire un effet ! dit Xénia, triomphante.

— Mais tu es folle ! s’exclama Nelly-Rose consternée, et tout de même un peu flattée aussi, bien que toute vanité lui fût à peu près étrangère. Voyons, Xénia, tu m’avais cependant dit…

— Je t’avais dit que j’écrirais à ma revue. Je l’ai fait. Cela a paru tout de suite et j’ai reçu le numéro ce matin. Ton geste était trop beau pour le passer sous silence. Ç’aurait été d’une discrétion ridicule. Quelle belle réclame, hein ?

La Polonaise était si naïvement satisfaite que Nelly-Rose jugea inutile de protester davantage. À quoi bon d’ailleurs ? La chose était faite. Elle ne souffla pas mot de la lettre ni du chèque. Elle voulait réfléchir avant de rien révéler. Pour la même raison, malgré l’envie qu’elle en avait, elle ne posa pas de questions à Xénia sur cet Ivan Baratof, que la Polonaise connaissait peut-être…

L’après-midi, elle alla trouver le président du comité, le vieux professeur Lepierrard, auquel, sans faire mention de l’exigence stipulée par Baratof, elle montra seulement le chèque.

Le professeur bondit, malgré son flegme légendaire.

— Cinq millions ! Mais, ma petite enfant, c’est merveilleux ! Mais c’est le salut pour notre œuvre ! Et quel coup de réclame énorme ! Tout le monde va souscrire.

Nelly-Rose parut sceptique.

— J’ai bien peur, monsieur le président, que ce soit simplement une mystification. Pourquoi ce personnage, qui ne me connaît ni d’Ève ni d’Adam, qui ne doit même pas savoir que je suis la secrétaire du comité, m’aurait-il, si c’était sérieux, envoyé, à moi, ces cinq millions ? Il vous les aurait envoyés à vous directement.

— Ma chère enfant, c’est bien compliqué pour une mystification ! Du reste, nous avons un moyen de savoir l’exacte vérité ; c’est d’adresser le chèque à la Banque de Londres. Nous saurons ainsi s’il y a un compte Baratof, un compte assez important pour que la somme nous soit versée.

— Monsieur le président, je vous en prie, spécifia Nelly-Rose, demandez seulement des renseignements, mais ne demandez pas à toucher le chèque, et surtout qu’on ne parle pas de moi.

— Mon enfant, je vous promets qu’on ne parlera pas de vous.


Quelques jours après, Nelly-Rose, qui n’avait pas cessé de penser à cet incident extraordinaire, fut appelée chez Lepierrard.