Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/37

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— Eh bien, lui dit-il avec satisfaction, c’était très sérieux. Le chèque a été viré et l’argent versé.

Nelly-Rose, effarée, sursauta :

— Comment cela ? Mais, monsieur le président, il avait été entendu que vous demanderiez simplement des renseignements, et que vous ne toucheriez pas le chèque sans me prévenir !

— Ta, ta, ta… Le vieux savant, pour qui la science comptait seule, se mit à rire, radieux… Est-ce qu’on a le droit d’hésiter devant une telle somme, et de tergiverser quand il s’agit d’une œuvre comme la nôtre ? Le chèque était à mon nom, et je l’ai touché, voilà ! Et quel bruit cela va faire J’ai envoyé une communication à tous les journaux…

Il n’y avait pas, ici non plus, à insister en présence du fait acquis. Nelly-Rose se retira.

Ce don de cinq millions eut, d’ailleurs, comme l’avait prévu le professeur Lepierrard, un retentissement énorme. Tous les journaux reproduisirent l’information et accablèrent d’éloges ce Russe magnifique dont le nom, du coup, fut lancé. Et lancée aussi en même temps fut la souscription pour les laboratoires. Des sommes importantes affluèrent.

Nelly-Rose cependant était en proie à des sentiments divers. Heureuse et fière du résultat obtenu, en même temps, elle demeurait vaguement inquiète.

Le chèque touché, cela voulait dire qu’elle acceptait les conditions posées par cet inconnu : Ivan Baratof… Ivan Baratof, ce nom obsédait la jeune fille.

Pour avoir, si possible, quelques renseignements, elle osa, maintenant que tous les journaux avaient mentionné le don du Russe, demander à l’étudiante polonaise Xénia si elle savait quelque chose de lui. Elle apprit ainsi que ce Baratof, que Xénia ne connaissait pas d’ailleurs personnellement et n’avait jamais vu, était un homme assez âgé, puissamment riche, qui vivait la plupart du temps en Pologne où il s’occupait d’affaires.

— Il a lu mon article dans France-Pologne naturellement, ajouta la Polonaise. Il s’est enthousiasmé pour l’œuvre et aussi pour toi… Mais, d’un enthousiasme platonique, puisqu’il ne te demande rien en échange des cinq millions.

Nelly-Rose ne répondit pas. Elle savait, elle, que Baratof demandait quelque chose… quelque chose d’assez effarant, où elle devinait par moments un vague péril. Mais, que risquait-elle ? Cet homme demandait à la voir seule, chez elle, la nuit ? Et après ? Ce n’était pas tragique ! Elle avait promis, elle tiendrait.

Et puis, elle espéra n’avoir pas à tenir sa promesse. Huit jours passèrent. Quinze jours. Aucune nouvelle de ce Baratof. Sans doute avait-il renoncé à son projet.

Nelly-Rose d’ailleurs avait de plus graves motifs de souci. La situation financière de sa mère devenait de plus en plus mauvaise et, cette fois, la jeune fille n’en pouvait douter. Mme Destol, au cours d’une conversation provoquée par les réclamations d’un créancier exigeant, venait de lui révéler leur prochain dénuement. Elle l’avait fait sans larmes, sans émotion, son insouciance naturelle se refusant à dramatiser tout ce qui n’était pas la minute présente…

Nelly-Rose fut consternée. Elle voyait, elle, la réalité des choses. Et Valnais était là pour lui faire voir cruellement cette réalité. Il parlait de désastre menaçant, de ruine imminente. Il parlait aussi de son amour. Et, à présent, il n’était plus le Valnais timide qu’elle faisait taire en riant quand il commençait ses déclarations, et à qui elle avait imposé pour lui donner une réponse définitive un délai de six mois. Il n’acceptait plus ce pacte. Il ne voulait plus attendre aussi longtemps. Il devenait de plus en plus hardi, de plus en plus pressant. Il usait, sans ménagements, du pouvoir que lui donnaient sa fortune et la prochaine détresse des deux femmes.