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Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/4

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Destol trahissait la vie bohème et confuse de la maîtresse de maison, autant les deux pièces — une chambre et un boudoir, — habitées par Nelly-Rose, étaient, quoique simplement meublées, harmonieuses, nettes et bien rangées.

Comme Mme Destol entrait, une porte donnant sur le palier livra passage à Nelly-Rose.

Grande, svelte, brune, vêtue avec une élégance simple et sûre, elle était d’une beauté éclatante, ardente, presque sensuelle. Mais, en même temps que cette beauté pouvait susciter le désir de ceux qui l’approchaient, un sentiment plus fort peut-être leur inspirait instinctivement le respect ; ce sentiment avait sa source dans l’air d’innocence parfaite qu’exprimait le joli visage de la jeune fille, dans la candeur de ses yeux bleus dont le regard franc ne se voilait et ne se détournait jamais. Jeune fille moderne, elle était avertie, certes, et eût haussé les épaules à l’évocation de « l’oie blanche » de jadis, mais travailleuse, sportive, saine, aucune curiosité équivoque, aucun sentiment trouble ne l’avaient jamais sollicitée.

La mère et la fille s’embrassèrent avec une tendresse que n’avaient diminué ni leurs goûts dissemblables ni leur vie séparée.

— Maman chérie, je passe en coup de vent pour te voir. Songe que le comité se réunit à trois heures. Je te rappelle qu’on compte sur toi.

— Ma petite Nelly-Rose, il faut vraiment que j’y aille ?

La jeune fille se croisa les bras, affectant l’indignation :

— Maman, maman, voyons, tu as l’honneur de faire partie du comité, et tu ne viendrais pas à la séance où je fais mes débuts de secrétaire de la Maison des laboratoires ? Tu en as de bonnes !

— Quelle drôle d’enfant tu es, Nelly-Rose ! Ah ! je t’assure que je ne vois pas l’amusement que tu trouves à te consacrer à tous les travaux scientifiques qui doivent te casser la tête… Chimie ! Médecine ! Pharmacie ! Quand on est jolie comme toi, et qu’on a vingt ans !…

— Mais, maman, c’est passionnant !

— Quels goûts bizarres ! Moi, à ton âge… Il est vrai que tu retrouves là-bas des camarades…

— Qui sont si cordiaux, si gais, si charmants pour moi !…

— Ce n’est pas parmi eux que tu trouveras un mari.

Nelly-Rose éclata d’un beau rire.

— Mais, maman, je ne pense pas du tout à me marier.

— Je ne dis pas… Mais, tu ne me feras pas croire qu’aucun de ces jeunes gens ne te fait la cour…

— Ma pauvre maman, comme tu retardes ! On ne fait plus la cour, voyons ! Il n’y a qu’un homme qui me fasse la cour, et roucoule la main sur le cœur, c’est ton ami Valnais, le quatrième de tes mousquetaires… — ton fidèle d’Artagnan — un d’Artagnan boursier, bourgeois, à monocle et à guêtres blanches. Les autres, des copains de travail, des camarades sans arrière-pensée !

— Ma petite, vois-tu, moi, je n’y crois pas à la camaraderie sans arrière-pensée entre jeunes gens et jeunes filles. Un jour ou l’autre, ça tourne mal.

Nelly-Rose ouvrit des yeux étonnés.

— Ça tourne mal quand on le veut bien, dit-elle. Or, je sais parfaitement remettre les gens à leur place. Rien à craindre avec moi, maman.

— Tu ne comprends rien à ce qui est la vraie vie, Nelly-Rose ! Tu restes en dehors de la réalité, qui est, parfois, si grave et si dure…

La frivole Mme Destol n’avait pas l’habitude de prononcer de tels mots, et surtout avec tant de solennité. Sa fille la regarda, et dit en souriant :

— Qu’y a-t-il donc, maman chérie ? Des idées noires, toi ? Que se passe-t-il ?

— Mais rien, absolument rien, dit la mère vivement.

— Alors ?…

— Alors, je pense quelquefois que tu devrais envisager l’avenir d’une façon plus sérieuse.

— Et la façon plus sérieuse d’envisager l’avenir, ce serait d’abandonner mes études, et de sauter à pieds joints dans la carrière conjugale ?

— Peut-être.