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Oui, la troubler, l’étonner, l’obliger à penser à lui, c’était là son plan sournois et irréfléchi.

Le corridor qui tournait le mena à une porte. Il entra dans un boudoir décoré avec un goût sûr et charmant et fut certain d’avoir atteint son but. Sur une coiffeuse dans un vase, se trouvait la branche de lilas. Elle l’avait donc conservée ! Il eut une joie vaniteuse. Comment n’aurait-il pas supposé qu’elle l’avait conservée, cette branche de lilas, à cause de lui ?

Il entr’ouvrit une porte encore et jeta un coup d’œil sur la chambre de la jeune fille. Il inspecta aussi l’antichambre particulière de Nelly-Rose. Allons, tout était bien. Au cas où les circonstances lui permettraient de venir, il saurait.

Un moment, ensuite, il resta dans le boudoir. Un parfum léger traînait. Le parfum de Nelly-Rose, qu’il avait sur elle respiré pendant leur valse…

Il éprouvait, dans ce boudoir, la sensation indéfinissable que toute la grâce de la jeune fille flottait autour de lui, impalpable mais si émouvante et si séduisante… Et une émotion presque douce, inhabituelle chez lui, chez lui qui était entraîné à l’égoïsme et à la seule loi de son désir personnel, — le ravit un moment…

Il secoua vite cette émotion, s’empara de la branche de lilas, et, par le couloir, regagna rapidement l’antichambre du grand appartement.

Le vestiaire était maintenant désert. Presque tous les invités étaient partis. Là-bas, au buffet, seuls quelques intimes, — Valnais, ses partenaires au bridge, qui devaient dîner chez Mme Destol, — causaient encore.

Dans la galerie, Gérard s’approcha du chef du jazz, prêt à partir, et lui parla à voix basse.

— Mais, volontiers, monsieur, répondit le musicien.

Et, accompagné par un de ses camarades, il reprit quelques mesures de la valse que Gérard avait dansée avec Nelly-Rose.


Nelly-Rose, du buffet où, assise, elle causait avec les « Trois Mousquetaires » et sa mère, entendit cette musique évocatrice d’impressions récentes et troublantes. Elle se leva aussitôt et vint dans la galerie.

Stupéfaite, elle vit l’inconnu de la rue, de la danse… Il avait son chapeau à la main, son pardessus sur le bras, et, sur ce pardessus, était couchée une branche de lilas.

Un instant, Nelly-Rose resta interdite. Était-ce sa branche de lilas ? Cet homme avait-il eu l’audace ?…

Elle courut à son boudoir pour s’en assurer. Le lilas n’était plus dans le vase de sa coiffeuse. Nelly-Rose eut un geste de colère. Que voulait-il ? Comment se permettait-il ?… Que signifiaient cette poursuite, cette insolence, cette obsession ? Elle était excédée, résolue à lui parler.

En courant toujours, elle revint dans la galerie. Il n’y était plus. Elle s’élança vers le vestibule et, là, le rejoignit au moment où il sortait…

Nelly-Rose n’était pas timide. L’impertinence de cet homme la jetait hors d’elle. Avec vivacité, presque avec brutalité, elle l’interpella :

— Qui êtes-vous ?

Il sourit :

— Un ami…

— Je ne vous connais pas, continua-t-elle durement. De quel droit cette poursuite ? Vous vous êtes permis d’entrer dans mon boudoir. Pourquoi ?

— Pour prendre ce lilas, répondit-il du ton le plus naturel et avec une grande douceur.

Nelly-Rose ne pouvait reconnaître sa voix puisque au téléphone il l’avait déguisée. Une seconde pourtant la jeune fille se demanda si elle ne l’avait pas déjà entendue, mais elle était si exaspérée qu’elle ne chercha pas à se souvenir…

— Monsieur, dit-elle avec violence, je vous défends… C’est abominable de vous permettre !…

— Pardonnez-moi, répondit-il, j’ai été si heureux de voir que vous aviez gardé ce lilas.