Page:Leblanc - De minuit à sept heures, paru dans Le Journal, 1931.djvu/90

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dame, ce monsieur a disparu là-bas, à l’angle de la cour… C’est là que donne l’escalier qui mène à sa chambre… Je l’ai vu tantôt y entrer…

Mme Destol chancela.

— Et il y serait, maintenant… avec cette dame ?

— Pas de doute, dit le Russe.

Mme Destol avait déjà surmonté sa défaillance d’un moment.

— Conduisez-moi, ordonna-t-elle.

— Ça y est, on va avoir notre revanche contre le type, souffla le Russe à ses compagnons.

Il prit les devants vers la cour sombre. Mme Destol était sur ses talons. Soudain, Valnais, qui marchait près d’elle, entendit le bruit d’un déclic. Il regarda sa compagne.

— Qu’est-ce que vous faites ? Qu’est-ce que c’est que cela ? demanda-t-il épouvanté.

Mme Destol tenait à la main un petit browning. Elle ne répondit pas à la question de Valnais. Son visage était contracté par une expression de résolution farouche. Valnais vit le drame imminent. Folle de colère et de douleur, la mère était prête à tout pour venger sa fille, châtier le coupable, prête à tirer, prête à tuer.

Et les Russes suivaient, à moitié ivres, surexcités, avides de vengeance, résolus à enfoncer la porte si leur ennemi refusait d’ouvrir.

Mme Destol, qui se hâtait, silencieuse, implacable, atteignit le bas de l’escalier à demi éclairé.

— Où allez-vous madame ? lui demanda un homme qui parut tout à coup devant elle, débouchant d’un couloir qui venait de l’autre partie de la maison.

C’était Yégor, le patron de la pension. Il regardait le groupe et répéta, s’adressant à Mme Destol et à Valnais :

— Où allez-vous, madame et monsieur ?

Mme Destol, sous son manteau, dissimula son arme.

— Nous allons chez un jeune homme brun qui se nomme Gérard et qui vient de rentrer dans sa chambre avec une jeune dame. Laissez-nous passer.

Le patron eut une imperceptible hésitation. Il avait vu le browning dans la main de Mme Destol. La présence auprès d’elle des cinq Russes battus tout à l’heure par Gérard était significative. D’autre part, il soupçonnait Gérard de s’être embarqué dans une histoire compromettante. Il le savait capable de bien des choses pour assouvir ses désirs. Cette jeune fille emportée, cela avait bien l’air d’un enlèvement et, en ce moment même, elle était là-haut avec lui… Un drame était imminent. Yégor le comprit. Il ne voulait pas d’une histoire sanglante et scandaleuse dans sa maison que la police déjà surveillait. Il