qui ne souffrent pas la moindre atteinte. On nous enseigna que les usages les plus ineptes doivent être acceptés comme des dogmes. Les corvées mondaines sont des religions. On met à les remplir autant de dévotion qu’à suivre la messe.
Et de la sorte il nous fallut obéir à des règles si fixes et à des restrictions si nombreuses, réprimer tant d’aspirations contraires, tant de paroles et de gestes, que des traitements rigoureux ne nous eussent point laissé un tel souvenir de gêne et de servitude.
Sous l’amas de respects et de convenances dont on l’affublait, quelle était ma véritable nature ? Étais-je bon ou mauvais, envieux ou généreux, composé des qualités et des défauts que je m’accorde aujourd’hui, je ne saurais le démêler. Je ne me distingue pas de mes compagnons. Nous étions tous vêtus d’un uniforme noir à boutons d’or, et façonnés d’après une méthode qui ne pouvait s’adapter exactement à chacun de nous sans meurtrir la plupart de ses aptitudes. Hélas ! on coule toujours nos petites âmes dans le même moule, et on les pétrit, et on les martèle, et on les écrase. Que d’années, que d’épreuves, avant que les malheureuses se redressent suivant leur propre ligne ! N’est-ce point décourageant ? Pour être soi, il faut d’abord se débarrasser de tout ce que l’on imagine pour que nous ne soyons plus nous.
Le seul point peut-être par où je me singularisais fut un débordement d’affection et de confiance