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Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/21

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L’ENTHOUSIASME

que je ne retrouve pas au même degré chez mes camarades. Incrédule aux trahisons, je me livrais aux pires gaillards. Il y en avait toujours un en l’honneur de qui je brûlais d’une amitié plus fervente. Celui-là m’absorbait exclusivement. On ne se quittait pas. On partageait ses billes, ses toupies, ses vers à soie et ses secrets. Et l’entente durait jusqu’à ce que l’un des deux se lassât. Généralement alors on devenait ennemis féroces, ce qui me chagrinait.

Sans prétendre que toutes ces amitiés fussent exemptes d’une certaine corruption, je crois qu’elles répondaient surtout à d’irrésistibles désirs de tendresse, comme le prouve cet événement qui marqua ma quinzième année : j’aimai.

Ne rions point de ces passions d’adolescent, les seules peut-être où rien d’impur ne se glisse. C’est le signe d’âmes plus sensibles. Elles frissonnent d’enthousiasme et de mélancolie. Si elles attendent, retrouveront-elles jamais pareille fraicheur ?

Jean Duvalloy avait de grands yeux noirs, et mes rêves les plus sensuels se bornaient à plonger mes yeux dans ces grands yeux noirs. Joie bien courte cependant, car les miens se voilaient aussitôt de larmes.

— Pourquoi pleures-tu ? me demandait Jean, moins exalté.

— Je ne sais pas.

Savais-je seulement que j’aimais ! Nous étudiions nos leçons ensemble, la tête inclinée sur le même