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Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/22

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L’ENTHOUSIASME

livre. Parfois nos joues se touchaient. Contact adorable ! Nous ne bougions pas, chastement émus. Notre esprit profitait de cet éveil de notre cœur, et nos entretiens y gagnaient un tour presque grave. Souvent aussi nous demeurions silencieux, ce qui nous semblait un état d’une pureté incomparable.

Il m’est impossible d’en dire davantage sur cette aventure, parce qu’elle ne comporta rien de précis et qu’elle se dénoua même à mon insu dès la première séparation. Lorsque j’en pris conscience, je ne pus tirer de l’oubli aucun de ces petits détails qui sont les ossements du souvenir. Je me rappelle seulement avoir été très heureux. C’est beaucoup déjà. Le bonheur a un goût qui ne se perd point.

Soit que le hasard, en la privant d’amies, la repliât sur elle-même, soit au contraire que ce manque d’amies provint d’un caractère trop sauvage, Claire ne connut pas ces heures d’épanchement. Rien ne compensa pour elle les tyrannies d’un milieu que régentait l’opinion. Immédiatement exposée aux boutades de M. Hamelin et aux exemples édifiants de notre entourage, elle se réfugiait en elle avec des allures de bête traquée, et personne ne l’aidait à en sortir.

Avouons-le d’ailleurs, Claire était une petite fille fort insignifiante. N’ayant jamais de caprices et jamais non plus de ces gentillesses par où l’enfant charme et horripile, n’éprouvant jamais le besoin de se mêler aux conversations et de questionner les gens, elle tenait une place si minime qu’on arri-