Page:Leblanc - L'Enthousiasme, 1901.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
L’ENTHOUSIASME

point, et je m’émerveillais de tant de condescendance.

Notre besoin de solitude nous conviait à de lentes courses en barque, sous le voile des grandes herbes et des saules qui se penchent. Un jour de chaleur, elle releva jusqu’en haut l’une de ses manches et trempa dans l’eau son bras entier. Le courant cerclait sa peau fraîche de bracelets sans cesse renouvelés. Et mes regards s’y enroulaient aussi, à l’endroit même où de petites vagues s’insurgeaient contre l’obstacle. Puis ce fut au tour de l’autre, et quand elle eut trempé les deux bras, elle les essuya à l’aide de son mouchoir et les fit sécher. Ils pendaient le long de la barque, tout blancs, effilés aux poignets, arrondis vers l’épaule en courbes grasses et savoureuses. Le soleil les illuminait de clartés légères, et les feuilles pointues des roseaux s’y attardaient.

Mais elle leva les yeux sur moi et rougit. J’examinais les deux bras, comme ces enfants résignés qui étudient la forme des gâteaux à travers la vitrine des pâtissiers. Visiblement c’était pour moi de ces choses défendues auxquelles un petit garçon sage ne prétend point.

— Oh ! mon chéri ! mon chéri ! embrassez-les, dit-elle, les tendant à ma bouche.

Je me jetai sur eux comme un affamé, et les mangeai de gros baisers maladroits et voraces qui faisaient du bruit ainsi que des baisers de nourrice. Je passais de l’un à l’autre, j’allais aux endroits où