Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/33

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

V

Nausicaa.

Tout ce qu’il y avait, dans Stéphane, de nonchalance apparente, de contrôle personnel et de sang-froid volontaire, se brisait parfois sous l’assaut d’élans intérieurs qu’il ne pouvait contenir. Cette fois, il ne le tenta même pas. Son exaltation lui semblait justifiée et bienfaisante quand il enfourcha Sauvageon et qu’il partit en chasse, dans l’inconnu de la plaine mystérieuse, si différente de tout ce qu’il avait vu jusqu’alors.

Sauvageon était une de ces bêtes qui vagabondent en troupeaux libres, et que les « gardians » du pays asservissent pour leur usage. Petits chevaux blancs, mal conformés, mais infatigables. Et c’était celui que son père avait monté.

Stéphane suivait la dune qui longe la mer, puis s’engageait sur une bande de terrain entre un chapelet de menus étangs et le vaste étang de Vaccarès, tout scintillant parmi les îles innombrables, et guère plus profond qu’une immense flaque d’eau.

Le temps était beau avec des menaces de nuages à l’horizon. Un clair soleil d’avril luisait. Sur un sol formé de vase et de sel, poussait une maigre végétation de plantes et d’arbustes chétifs, tamaris, enganes surtout. C’étaient là plutôt des remarques auxquelles Stéphane raccrochait son esprit obsédé par ailleurs. Il cherchait à prendre des points de repère géographiques ou géologiques, et à évoquer cette étendue formidable qui s’étale entre les branches du Rhône, plus de cent mille hectares d’alluvions mêlés au sel de la mer. Mais de tout ce que ses yeux regardaient, il n’enregistrait rien. Au milieu de ce paysage préhistorique, qu’il avait toujours rêvé de connaître, loin de s’émerveiller et de s’enrichir de toute cette beauté nouvelle, il établissait des dates, il calculait, il poursuivait son monologue interminable, et il mâchonnait, mécontent de lui, bien qu’avec un déchaînement d’espoir :

— Donc, en octobre 1930, Guillaume Bréhange revient de Bretagne, abandonne Adrienne Maubrez, court sur la piste de Barbara et fait enquêter du côté de la Provence. En novembre 1931, il séjourne dans la région d’Arles et il a son rendez-vous avec l’inconnue à l’Arche-d’Ormet. Que devient-il après ? Où passe-t-il l’hiver ? Ce n’est qu’en avril 1932 qu’il retourne à Paris et qu’il travaille à sa seconde Vénus…