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maurice leblanc

jusqu’au soir d’octobre où il reçoit une visite… et se tue. Aujourd’hui, seize mois après lui, c’est moi qui reprends l’aventure.

Absorbé, comme s’il avait les yeux clos, il avance. Devant lui, sur l’encolure de la bête, pèsent de lourdes sacoches où il a mis un peu de linge, des objets de toilette et quelques provisions, le tout surmonté d’un manteau roulé. Un complet de laine l’habille. Jambières. Gros souliers. Feutre rabattu.

Deux fois, il croise des gardians, avec leurs troupeaux de bœufs, et tenant à la main leur long bâton aux trois dents de fer.

Il demande son chemin. Il s’est trompé de sentier. Et puis, ayant oublié dans son trouble la carte achetée la veille, il ne se rend plus bien compte de l’endroit où il est.

Il continue cependant, allant droit vers les débris d’un phare abandonné qu’on lui a indiqué.

Il passe à cent mètres à droite. C’est bien cela. Vingt minutes encore à petite allure, dans un sol boueux, et mou. Puis, quelques dunes tachetées par les grosses touffes des enganes et, à l’extrémité d’une longue bassée qui forme comme un couloir, une arche s’ouvre, qui domine quelques vestiges de ruines engagées dans la terre.

Il y avait là, autrefois, une abbaye, l’abbaye d’Ormet qui s’est enfoncée au cours des âges dans le sol mouvant. Des blocs émergent encore, des pierres sculptées, un torse de saint décapité. Et puis une arche qu’on suppose le haut d’une nef d’église… ou bien l’arche d’une entrée d’enceinte.

Stéphane approche, distingue mieux l’emplacement. Soudain, il tressaille. Derrière un amas de pierres, il aperçoit un cheval immobile, avec son frontail et sa bride, un cheval en tout pareil au sien, blanc et un peu de guingois. Pas de selle ni de sangle, le dos nu.

Les courroies de la bride sont hors de la tête, et suspendues mollement à quelque chose qui se tient à un mètre ou deux de distance.

Et quand Stéphane est tout près, il avise une jeune femme qui est assise au milieu des pierres, la tête renversée, et qui semble dormir, sa figure et ses cheveux blonds face à l’âpre soleil. Le cheval tourne à peine la tête vers Sauvageon, puis ne bouge plus, comme s’il craignait de réveiller sa maîtresse.

— La Dame de la Camargue, peut-être, se dit Stéphane.

Il met pied à terre et se penche sur cette femme, qui est toute jeune, à peine vingt ans. Elle a étendu sous elle la couverture du cheval, formée de peaux de bête, des peaux tachetées, fines, soyeuses comme une fourrure de luxe, et de plusieurs couleurs de sable clair.

Elle est enveloppée d’un manteau de laine beige, presque blanche,