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maurice leblanc

— Je n’ai jamais trop chaud, même en plein soleil d’été et je n’ai jamais froid, même l’hiver, ou sous le mistral… L’habitude…

— Tout de même… ce lainage épais…

— Non… non… je vous assure…

Il la contemplait des pieds à la tête. Il se souvenait des jambes, nues sous le manteau. L’écharpe étant rejetée sur le dos pour la liberté des gestes, les bras étaient nus aussi, et une idée l’envahit, qui le déconcertait et qu’elle devina aussitôt.

Elle rougit légèrement, à peine gênée. Puis, ayant allumé deux longues bougies, elle poussa les quatre volets de bois, tira d’un buffet des gâteaux secs, du fromage de chèvre, du vin blanc, un flacon de vin sucré couleur de topaze.

— Voilà notre festin, dit-elle. Faites-y honneur, mon compagnon.

Elle étala du fromage sur une galette salée qu’elle lui offrit, et s’en prépara une aussi. Il vit ses larges dents éblouissantes.

Tout en buvant du vin sucré, elle parlait avec une animation qui marquait un peu de fièvre.

— Que dites-vous de mon palais ?

— Il est digne de la Nymphe Amalthée qui était, j’en suis sûr, moins belle que vous.

— Je ne suis ni nymphe, ni belle, mais j’ai besoin d’un abri où je passe quelquefois, comme dans celui-ci, une journée… où je peux coucher même, sur un divan, si je suis surprise par la nuit ou par un orage. J’aime tant ce pays désolé ! C’est ma vie… ma vraie et ma seule vie. Je ne suis heureuse que là.

— On m’a dit que vous aviez d’autres demeures dans la Camargue ?

— Non.

Elle s’éloigna pour jeter au brasier des sarments de vigne qu’elle allait prendre dans un des réduits, ou bien des bûches d’olivier noueux, qui meurtrissaient la chair de ses bras.

Stéphane ne la quittait pas des yeux. Depuis qu’il avait eu l’idée qu’elle était peut-être nue sous ce vêtement, il ne pouvait plus penser à autre chose. Il avait la gorge sèche. Le rythme de son cœur se précipitait.

— Mais parlez donc ! dit-elle, non sans quelque agacement.

Il ne parlait pas. Lui, si gai devant l’amour, et chez qui le désir, si violent qu’il fût, n’altérait pas l’allégresse, il demeurait inquiet et ramassé sur lui-même.

À son tour, elle se tut. Assise en face des grandes flammes, elle se tenait le visage entre les mains. Dehors, la pluie tombait. Le jour devait s’assombrir. Nul bruit tout autour de la maison solitaire.

Des minutes s’écoulèrent ainsi dans cette intimité où ils étaient si loin