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Page:Leblanc - L’Image de la femme nue, 1934.djvu/44

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maurice leblanc

un jour : « Ma belle demoiselle, quand le bonheur passera, vous mettrez la main dessus. » Était-ce un conseil qu’elle me donnait ? ou l’annonce d’une décision que je prendrais à une heure grave de ma vie ? Bien souvent, je me le suis demandé. Aujourd’hui, je sais… Oui, aujourd’hui, sans vous connaître et sans voir clair en moi, je suis sur le point d’agir comme si le bonheur passait, et comme si j’avais peur de le voir passer sans mettre la main sur lui.

Elle se penchait et regardait Stéphane ardemment :

— Est-ce que je me trompe ?… Doit-on se connaître davantage, et ne peut-on risquer toute sa vie sur une impression ?

Il ne comprenait pas encore bien ce qu’elle voulait dire, et, au fond, ne s’en souciait peut-être pas beaucoup. Il convoitait, comme une proie magnifique, cette belle créature, savoureuse, sensuelle, en qui s’unissaient tant d’ombre et tant de clarté, et dont il n’était éloigné que par l’épaisseur d’un vêtement que retenaient, seules, une agrafe d’argent à l’épaule gauche et une ceinture nouée à la taille. Les idées de Stéphane n’étaient jamais très nettes quand le tourbillon du désir l’entraînait.

Elle continuait, de plus en plus bas :

— On croit réfléchir… On croit obéir à sa raison… et c’est peut-être l’instinct qui commande. Mon Dieu ! ajouta-t-elle plus gaiement, comme tout s’obscurcit ! La tête me tourne. Quel vertige ! et cependant… cependant…

Elle était au seuil d’une détermination qui s’affirmait de plus en plus, et qui, dans son désarroi physique, lui semblait juste et naturelle. Stéphane attendait, avec la joie éperdue de l’homme en face de qui fléchissent toutes les résistances d’une femme. Et l’attente ne fut pas longue. Résolument, elle lui tendit les mains, avec un air d’offrande, ingénu à la fois et hardi. Quand il les eut enfermées, toutes chaudes, dans les siennes, il se rendit compte qu’elle tendait aussi les bras. Et lorsqu’il eut baisé la chair frémissante, du poignet jusqu’à l’épaule, ce fut la bouche qui se prêta aux caresses.

Jamais, lors de ses amours passées, il n’avait respiré plus profondément au cœur même d’une femme qui donne son âme et sa vie par ses lèvres entr’ouvertes. Et, néanmoins, dans cette complaisance, il y avait une certaine maladresse et comme l’étonnement d’une adolescente à qui l’on apprend des choses qu’elle ignore.

Son élan s’accompagnait d’une sorte de pudeur, et elle livrait sa bouche avec une telle naïveté qu’il se détacha pour la regarder au fond des yeux.

Il les vit, tout attendris d’une grâce si mélancolique qu’il lui en demanda la raison.