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l’image de la femme nue

Dernière lueur de lucidité qui précède l’abandon total. On s’interroge, encore, par une curiosité suprême, et une envie passagère et presque douloureuse de se connaître avant de s’appartenir. Elle répondit, en souriant :

— Je ne suis pas triste. Mais je vais vous donner plus que vous n’attendez de moi. Je ne le regrette pas, parce que j’ai confiance en l’avenir. Tout de même, c’est dire adieu à mon passé de jeune fille ! Dans un instant, comme il sera loin, ce passé !

Elle portait sa main droite vers l’agrafe d’argent et demeurait là, en un geste gracieux d’hésitation.

Stéphane n’aurait pas eu beaucoup de mal, s’il l’avait voulu, à découvrir la signification de ces paroles, et sans doute, incrédule et sceptique, eût-il haussé les épaules. Mais toute son existence était suspendue à cette agrafe qui se défaisait, et il y attachait tant de prix qu’il voulut aider la jeune fille.

— Non, murmura-t-elle. C’est à moi d’agir, et je veux agir sans réserve.

Le manteau glissa. La ceinture se dénoua. Si grande que fût sa hâte, Stéphane suspendit son désir pour prendre de tout son regard émerveillé le corps qui se dressait, svelte et plein de grâce. Elle était comme la blanche Nausicaa, « élancée ainsi qu’une jeune tige de palmier », et si pure d’aspect que c’est à peine s’il osait effleurer de sa main tremblante la chair soyeuse des hanches et des seins. Elle frémissait sous cette main, et, confuse d’être regardée avec une telle convoitise, elle attira Stéphane contre elle en le suppliant ingénument. Aurait-il pu d’ailleurs tarder davantage ? Elle ferma les yeux, recueillie et docile. Mais quand il se fut aperçu que c’était vraiment un corps de vierge qui se livrait à lui, il l’étreignit dans un transport où il y avait autant d’amour et de tendresse que de désir victorieux,

C’est de la sorte que la Dame de la Camargue fut initiée au mystère de la volupté par le voyageur inconnu qu’elle avait choisi, et c’est dans les bras de ce voyageur que, au cours de la nuit, tandis que des bourrasques chargées de pluie rageuse accompagnaient leurs caresses, elle finit par s’endormir, heureuse, apaisée et pleinement satisfaite…

Il contempla dans la pénombre le visage aux yeux clos, tout imprégné d’une allégresse et d’une douceur sans mélange. Elle n’avait pas pleuré. Plusieurs fois, à voix basse, elle lui avait dit qu’elle ne s’était pas trompée et que l’avenir lui souriait. Il la caressa tendrement, enveloppant de sa main les formes rondes et tièdes, et il s’assoupit à son tour.

La nuit s’écoula dans un bruit d’eau qui s’abattait en masses lourdes sur le toit de roseaux tressés fin comme du chaume. Le silence, qui suivit