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maurice leblanc

— Je vous ai trouvée, Véronique.

Elle lui prit le bras tendrement et l’entraîna le long des tours en ruines, par un sentier qui montait et dégringolait en pentes abruptes, et que des ravins et des roches interrompaient.

Un quart d’heure de marche les amena dans une clairière en plateforme qu’un poteau désignait comme la clairière d’Actéon. Elle était ouverte au midi par une éclaircie à travers les bois, qui descendait en échelons jusqu’à la mer. Un de ces échelons portait un dolmen, le dolmen de Gyptis. Au delà, on apercevait toute la pointe du promontoire de Leucade.

Elle montra du doigt, au centre de la clairière, un socle en briques recouvert d’une dalle.

— C’est cela que je voulais vous faire voir, Stéphane.

— Ce socle ?

— Oui… un socle… où il n’y a pas de statue.

Stéphane sursauta.

— En effet… Comment expliquez-vous ?

— Il existait déjà, dit-elle, à l’époque où mon père s’est installé à Esmiane, c’est-à-dire en 1919. L’autre jour, en l’examinant, j’ai découvert une date sur la pierre : 1912. Qui a pu construire ce socle ? En l’absence de ses maîtres, le domaine d’Esmiane était surveillé par des gens du pays qui, de père en fils, depuis un siècle, demeurent à la ferme du Vieux-Madon, et qui, chaque mois, faisaient une tournée dans les ruines du château. J’y ai été ce matin, et j’ai déjeuné avec nos amis Delroux, qui ont loué là des chambres. Après quoi, j’ai interrogé le dernier de cette famille de fermiers, un brave homme, le père Estanquier, lequel m’a raconté qu’avant la guerre, durant une de ses tournées, il avait été très surpris de voir ce socle nouveau.

« — Par les Saintes-Maries, a-t-il dit, j’ai cru qu’il était poussé tout seul, comme un champignon ! Avais-je la berlue ? Pourtant non, c’étaient bien des briques neuves, et une dalle toute fraîche. J’en étais si estomaqué que j’y ai gravé la date avec mon couteau. 1912. »

Stéphane murmura :

— 1912 ! La statue a été volée au mois de mai 1912. Elle a été amenée par auto-camion et par bateau jusqu’à l’embouchure du Rhône… et, sans doute, jusqu’au promontoire que l’on aperçoit. Mais qui aurait pu la hisser jusqu’ici, jusqu’au socle qui l’attendait ?

— Une enquête a été faite par le père Estanquier.

— Et alors ?

— Le 23 mai 1912, pendant les fêtes qui attirent tous les romanichels d’Europe aux Saintes-Maries, une demi-douzaine de nomades ont été