Page:Leblanc - La Cagliostro se venge, paru dans Le Journal, 1934.djvu/31

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— Si, je vous connais.

— Vous me connaissez, moi, Raoul d’Averny ?

— Non, vous, Arsène Lupin !

Raoul fut interloqué. Il n’attendait pas cette attaque directe ni que son véritable nom lui fût jeté, ainsi qu’une insulte. Comment cette femme pouvait-elle savoir ?…

Il lui saisit la main, brutalement.

— Que dites-vous ? Arsène Lupin…

— Oh ! ne mentez pas ! À quoi bon ! Il y a longtemps que je le sais. Simon m’a souvent parlé de vous et de ce nom d’Averny sous lequel vous vous cachez !… Je suis même venue ici, un soir de la semaine dernière, pendant votre absence et sans que personne le sache… Il voulait que je voie la maison d’Arsène Lupin. Ah ! ce que je l’ai averti pourtant ! « N’essaie pas de le connaître. Ça te porterait malheur. Qu’est-ce que tu attends de cet aventurier ?… »

Elle tendait son poing crispé vers Raoul. Elle l’injuriait du regard et de sa voix toute frémissante de mépris.

Raoul l’écoutait, impassible. D’où provenait donc cette étrange histoire ? Il avait été voir Simon Lorient à la clinique. Il ne le connaissait pas. Dans quelle intention Simon Lorient voulait-il entrer en relations avec lui ? Comment avait-il pu deviner que Raoul d’Averny n’était autre qu’Arsène Lupin ? Par suite de quels hasards était-il en possession d’un tel secret ?

Raoul eut l’impression que la jeune femme ne pourrait le renseigner à ce propos, ou du moins qu’elle ne le voudrait pas. Elle avait un front obstiné et des yeux inflexibles. Droite, ardente dans son immobilité, malgré tout, elle ne perdait rien de son charme un peu barbare, et gardait dans sa pose une noblesse incroyable. Elle savait — par instinct ou par habitude ? — se servir de sa beauté et la mettre en relief. La soie souple de son corsage accusait ses formes et montrait la ligne harmonieuse de ses épaules.

L’admiration visible de Raoul la fit rougir. Elle se courba dans un fauteuil et, de ses deux bras croisés, de ses deux mains plaquées sur ses joues, elle se cacha à demi. Soudain défaillante, elle pleurait.

— Vous ne sauriez croire ce qu’il est pour moi… C’est toute ma vie… S’il meurt, je mourrai… Je n’ai jamais aimé d’autre homme… J’étais à genoux devant lui… Je me serais tuée pour lui épargner une peine. Et il m’aimait si profondément… Aussitôt riches, on devait s’épouser et partir… oui, partir…

— Qui vous empêche ?

— Et s’il meurt ?

Mais cette idée de mort la souleva de nouveau. Elle passait ainsi d’un excès à l’autre, en l’espace de quelques secondes, dans une agitation désordonnée d’idées et de sensations.

Elle se jeta sur Raoul.

— C’est vous qui l’aurez tué… Je ne sais comment… Mais c’est vous… Et je me vengerai comme on sait se venger dans mon pays, en Corse. Il ne faut pas qu’il meure avant d’être sûr qu’il a été vengé. Le coup qu’il a reçu vient d’Arsène Lupin. Et votre nom, je le crierai partout… Oui, je vous dénonce à la police. Et sans plus tarder ! Il faut qu’on sache qui vous êtes… Arsène Lupin, le malfaiteur, le cambrioleur… Arsène Lupin !

Elle ouvrit la porte et tenta de se sauver, tout en vociférant comme une démente. Il lui mit la main sur la bouche et, de force, la fit rentrer dans la pièce. Il y eut une lutte