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— Oui, mais…

— Mais ?…

— Un jour, après les avoir relus, ces documents, il les a brûlés, devant moi, sans en dire la raison. Il n’en a gardé qu’un seul, qu’il a glissé dans une enveloppe. Il a cacheté cette enveloppe et me l’a confiée.

— Avec des instructions ?

— Il m’a dit simplement : « Mettez ça de côté. On verra plus tard. »

— Vous pouvez me la communiquer ?

Elle hésita :

— Pourquoi pas ? insista-t-il. Barthélemy est mort. Simon Lorient également. Et c’est Thomas Le Bouc qui m’a tout révélé.

Elle réfléchit longtemps, le front un peu plissé, le regard distrait. Puis, elle chercha dans un tiroir de la commode un buvard où il y avait des lettres. Parmi ces lettres, elle trouva une enveloppe qu’elle décacheta sans tergiverser et d’où elle sortit un bout de papier plié en deux.

Elle voulait s’assurer d’abord de ce que signifiaient les quelques lignes écrites sur ce papier et si elle devait les communiquer.

En lisant, elle eut un sursaut. Néanmoins, elle passa le papier à Raoul, sans mot dire.

C’était une phrase — deux phrases plutôt — formulées comme ces ordres impérieux que quelque despote, quelque chef de bande, pourrait imposer à un subalterne. L’écriture était haute, lourde, empâtée, également appuyée partout. Comment Raoul n’eût-il pas reconnu, du premier abord, l’écriture de celle qu’il appelait jadis la créature infernale ? Et comment ne pas reconnaître la manière brutale et méprisante dont elle avait toujours donné ses ordres les plus monstrueux ?

Trois fois, il relut les lignes effroyables :

« Faire de l’enfant un voleur, un criminel si possible. Plus tard, l’opposer à son père. »

Et le paraphe, hautain, balafré d’une double épée.


La pâleur de Raoul frappa la jeune femme, une pâleur qui provenait d’une souffrance inexprimable, de terreurs ressuscitées, de toute l’angoisse d’un passé qui mêlait au présent la menace la plus tragique. Avec quelle curiosité, presque sympathique à ce moment, elle observait la face tourmentée et l’effort violent qu’il faisait pour se maîtriser.

— La haine… la vengeance… scanda-t-il ; tu comprends ça, toi, Faustine… Mais cette femme-là, c’était autre chose que de la haine et de la vengeance… C’était le besoin, la volupté du mal… Quel monstre d’orgueil et de méchanceté !… Aujourd’hui encore, tu vois son œuvre… Cet enfant qu’on élève contre moi pour en faire un criminel… Rien ne m’effraie dans la vie. Mais je ne puis penser à elle sans épouvante. Et l’idée qu’il va falloir recommencer l’horrible lutte…

Faustine se rapprocha de lui et hésita, puis déclara sourdement :

— Le passé ne recommencera pas… La comtesse de Cagliostro est morte.

Raoul sauta vers elle et, tout pantelant :

— Qu’est-ce que tu dis ?… Elle est morte ?… Comment le sais-tu ?

— Elle est morte.

— Il ne suffit pas d’affirmer. Tu l’as vue ? Tu l’as connue ?

— Oui.

Il s’exclama :

— Tu l’as connue ! Est-ce possible ! Comme c’est étrange ! Deux ou trois fois, je me suis demandé si tu n’étais pas son émissaire… si tu