Page:Leblanc - La Demeure mystérieuse, paru dans Le Journal, 1928.djvu/63

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

nait corps, et que la réalité s’imposait à d’Enneris, inexorable et monstrueuse.

Tout autour de l’atelier, le vieux avait placé sur deux rangs des bidons d’essence, tous pleins, comme on pouvait s’en rendre compte à la vue de son effort. Il en déboucha plusieurs, et il aspergea d’essence les cloisons et le parquet, sauf, sur une longueur de trois mètres, les lames qui aboutissaient à la porte. Ainsi réserva-t-il un passage conduisant au milieu de l’atelier, en un endroit où il empila d’autres bidons les uns par-dessus les autres.

Dans un de ces bidons, il trempa la longue corde que tenait Laurence Martin et qu’elle lui tendit. À eux deux, ils la déposèrent le long du passage. Le vieillard émécha l’autre extrémité, tira de sa poche une boîte d’allumettes et mit le feu à la mèche. Quand ce fut bien pris, il se releva.

Tout cela était accompli méthodiquement, par un homme qui, au cours de sa longue carrière, avait dû perpétrer beaucoup de besognes du même genre, et qui prenait plaisir non pas tant à l’acte lui-même qu’à la perfection qu’il mettait à l’accomplir. C’était en quelque sorte « fignolé ». Rien n’était laissé à l’imprévu, et il ne restait plus aux trois complices qu’à s’en aller paisiblement.

C’est ce qu’ils firent, après avoir, derrière eux, tourné la clef dans la serrure. Ils avaient remonté le mécanisme. Inévitablement, l’œuvre diabolique s’accomplirait. La baraque flamberait comme un copeau de bois sec, et Arlette disparaîtrait sans qu’il soit jamais possible d’identifier les quelques vestiges calcinés qu’on retrouverait parmi les cendres. Pourrait-on même soupçonner qu’il y avait eu incendie volontaire ?

La mèche brûlait. D’Enneris estima que la catastrophe se produirait entre la douzième et la quinzième minute.

Lui, dès la première seconde, il avait commencé le travail pénible de sa libération, se contractait, s’amincissait, gonflait ses muscles. Mais les nœuds étaient confectionnés de telle façon que tout effort les resserrait davantage et enfonçait les liens dans la chair. Malgré son extraordinaire habileté, malgré tous les exercices de ce genre qu’il avait accomplis en prévision de pareilles circonstances, il ne comptait pas aboutir à temps. Sauf un miracle impossible, l’explosion aurait lieu.

Il était au supplice. Désespéré d’être pris stupidement au piège et de ne pouvoir rien faire, désespéré de savoir la malheureuse Arlette au bord de l’abîme, il enrageait aussi de ne rien comprendre à l’horrible aventure. La liaison entre Antoine Fagerault et les trois complices comptait, pour tant de raisons formelles, au nombre de ces vérités qu’on n’a pas le droit de discuter. Mais pourquoi Fagerault, chef de la bande, et dont le vieillard ne pouvait être que l’agent d’exécution, pourquoi Fagerault avait-il ordonné cet abominable assassinat ? Ses plans,