Page:Leblanc - La Femme aux deux sourires, paru dans Le Journal, 1932.djvu/135

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temps n’a pu les faire disparaître. Ces prélèvements sont conservés par le chimiste, et seront l’objet d’un rapport, en quelque sorte officiel, qui vous sera remis, monsieur d’Erlemont, ainsi qu’au sieur Gorgeret, si ça l’intéresse.

Raoul se tourna vers le sieur Gorgeret.

— Du reste, l’affaire est classée par la justice depuis quinze ans, et elle ne sera pas rouverte. Le sieur Gorgeret a pu remarquer certaines coïncidences et découvrir que vous y avez joué un certain rôle. Il n’aura jamais d’autres preuves que les preuves mensongères que lui apporterait Valthex, et il n’osera pas insister sur une aventure où il s’est montré si pitoyable. N’est-ce pas, monsieur Gorgeret ?

Il se planta en face de lui, et comme s’il l’apercevait soudain, il lui lança :

— Qu’en dis-tu, mon vieux ? Trouves-tu pas qu’elle tient debout, mon explication, et qu’elle est l’expression même de la vérité ? Pas de vol. Pas d’assassinat. Alors, quoi, tu ne sers plus à rien ? La justice… la police… c’est donc des balivernes ? Un petit jeune homme comme moi, tout simplet, tout gentil, passe à travers l’aventure où vous pataugez, débrouille l’écheveau, ramasse le projectile que nul ne trouva, remet les colliers aussi chiquement que si c’étaient des cailloux enfilés… et s’en va, la tête haute, le sourire aux lèvres, avec le sentiment du devoir accompli. Adieu, mon gros. Bien des choses à Mme Gorgeret, et raconte-lui cette histoire. Ça la distraira, et ça ne pourra qu’ajouter à mon prestige auprès d’elle. Tu me dois bien cela.

Très lentement, l’inspecteur leva son bras et posa sa main pesante sur l’épaule de Raoul, qui parut stupéfié et s’écria :

— Hein ? Qu’est-ce que tu fabriques ? Voilà que tu m’arrêtes ? Eh bien, tu en as du culot ! Comment, je fais ton ouvrage, et pour me remercier, les menottes ?… Alors, quoi, qu’est-ce que tu ferais si tu avais en face de toi un cambrioleur au lieu d’un gentleman ?

Gorgeret ne desserra pas les dents. De plus en plus il affectait l’indifférence et le dédain d’un monsieur qui domine les événements et n’a pas à se soucier de ce que les gens peuvent dire ou penser. Que Raoul s’amusât à discourir… tant mieux ! Gorgeret, lui, profitait des discours, enregistrait les révélations, jugeait les arguments, et n’en faisait qu’à sa tête.

Enfin, il saisit un gros sifflet qu’il porta calmement à sa bouche et d’où il tira un appel strident dont l’écho se répercuta contre les roches voisines et rebondit dans le couloir de la vallée.

Raoul ne dissimula pas son étonnement.

— C’est donc sérieux ?

L’inspecteur ricana, avec condescendance :

— Tu le demandes ?

— Encore une bataille rangée ?

— Oui, mais cette fois j’ai pris mon temps et soigné ma préparation. Depuis hier, mon petit, je surveille le domaine, et depuis ce matin je sais que tu t’y caches. Tous les