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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/104

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LA MACHINE À COURAGE

troncs d’arbres. Une grosse lampe électrique descendait au-dessus de la table. Pourquoi ne pas vivre là en attendant les événements. Chaque soir les salles de bain et nos lits nous accueilleraient, chaque matin la vie reprendrait dans la cave. Le poêle serait notre chauffage central et notre fourneau… D’ailleurs, les provisions étaient peu abondantes — du quaker oats, du maïs, quelques boîtes de conserves, restes de nos splendeurs.

L’installation fut rapide — chaises et chaises longues, carpette, table à thé, guéridon chargé de livres, quelque vaisselle cachée derrière un paravent, une provision de bois, le piano. Et maintenant, dit Allen, il faut faire « le charme ». Il disposa deux candélabres sur la grande table, un foulard fleuri autour de la lampe et des feuillages dans un vase. Le poêle ronflait, on prit le thé — ce fut l’inauguration de ma nouvelle demeure dans la cave d’Harmony road.

Allen et Margaret rentrèrent à New-York pour chercher quelque engagement — concert ou soirée qui me permettrait de liquider la situation et de partir. Pour moi, il fallait rester dans la maison — et garder le téléphone — sans rien payer. J’allai voir notre propriétaire. J’expliquai le miracle que j’attendais pour me délivrer. Je le sentis si sympathique que je racontai toute la vérité de nos malheurs, nos comédies pour venir à la campagne, nos ruses pour y vivre. Il me serra les mains, accorda ce que je demandais et me souhaita un « good luck » pénétré.


J’étais heureuse, et j’ai fortement vécu dans cette cave. Les semaines passent très vite quand elles sont nues. Notre solitude était totale. La neige la préservait en étouffant même les cris des bêtes qui parvenaient faiblement jusqu’à nous. Pas de cloches, pas d’oiseaux, pas d’autres mouvement que celui des flocons doux qui semblaient mourir de leur chute muette et pourtant élargissaient d’heure en heure la bande blanche qui bordait nos fenêtres. Je les regardais assise à ma table, le nez en l’air, lisant ou écrivant. J’attendais sans impatience la sonnerie du téléphone qui retentirait au-dessus de nous, dans la grande maison vide, et nous délivrerait.