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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/105

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MA VIE DANS UNE CAVE

C’est en regardant la neige tomber dans le cadre noir de nos vasistas que pour la première fois j’écrivis des poèmes. Il m’apparut pour la première fois que ce n’était pas précisément de la littérature, mais une nécessité grave et très véridique, parce que ne prétendant pas à l’être. Je remémorais des poèmes de Rimbaud, d’Apollinaire, de Jean Cocteau et à travers la beauté transparaissaient les émotions particulières à chaque organisme. Je ne voyais pas le geste, l’événement comme dans les autobiographies, je surprenais le mécanisme profond de l’individu. À partir de ce jour, j’aimai la poésie réellement. Elle m’apparut comme une expression qui prend sa place entre soi-même et le langage.

Chaque jour, à neuf heures, je retrouvais Monique agenouillée devant le poêle qu’elle activait. Sa robe de laine marron, son châle sur les épaules, ses bandeaux noirs déjà ordonnés comme deux petits rideaux relevés en rond pour montrer sa figure — paysage de paix et de bonté.

À cette première heure un peu de soleil glissait en biais sur nos murailles mais toujours le ciel nous manquait. Nous sortions pour le voir quand la neige s’arrêtait un instant, mais, encore, elle occupait le ciel. L’espace n’avait ni formes ni couleurs. Nous revenions vite à notre cellule. Ma journée commençait. Je savais qu’elle serait intacte, c’était assez pour la sentir en moi comme une coulée de béatitude. Alors, un matin, entre les quatre murs de pierre grise et le sol, pavé de dalles sombres, une image de printemps, quelques lignes vertes vinrent au bout de mon crayon, comme jaillit une première couleur toute fraîche sur la palette…


Printemps

Accrochés au flanc du grand arbre, leur père,
les enfants feuilles s’agitent imperceptiblement.
Trop jeunes pour avoir une opinion,
Ils ne peuvent qu’approuver la brise
qui les interroge doucement
en ce matin de printemps.