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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/109

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LA VOIX HUMAINE

il y a quelqu’un qui ne sait pas se donner ou qui est emprisonné. Alors le travail dépasse l’enseignement pour devenir une création. Quand j’étais gosse — je veux dire à vingt ans, quand ma jeunesse a commencé — j’avais en face de chaque personne la préoccupation d’une certaine délivrance — « cette personne est devant moi, mais elle n’est pas là ». Je voudrais qu’elle fût là… comment pourrait-elle être là ? Au bout de mes interrogations muettes je me perdais en spéculations infinies, et les gens classés libres par leurs fonctions, ou leur soi-disant indépendance, m’étaient des terrains sur lesquels je me précipitais. Je croyais les changer en les convainquant de changer de place, de milieu, d’idées. Il m’a fallu du temps pour comprendre que les vraies délivrances ne sont que subtiles ; pour savoir que celles qui comptent ne désirent pas se montrer, mais qu’on les sent avant tout autre chose en approchant une personne réellement libre. L’enseignement du chant est une école « d’être ».


…On décida que je donnerais six matinées par abonnement. En deux heures un comité est constitué, en douze heures les programmes sont imprimés, six salons désignés, tous les abonnements faits. Pendant six après-midi de dimanche je parle, récite des poèmes, chante pendant une heure et demie. Les dames américaines se plaignaient de n’avoir pas de distractions cet hiver, je suis un succès, je gagne trois cents dollars par matinée et tant d’affections gentilles.

On décide encore une série de concerts le soir. Mais l’accumulation des anges grossit comme un fléau. Finalement, l’affaire craque, laissant derrière moi des trombes d’enthousiasme et peu d’argent. Alors je retourne heureuse à ma vie d’ombre doublée de clartés. Ces manifestations mondaines attristent le temps. Chaque jour une obligation — lunch, thé, dîner… de quoi mourir à la peine si l’on n’est pas né pour le mortel plaisir des simagrées.

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