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LES SAUVEURS

qui passe religieusement devant votre porte. » Monique était sympathique à tant de piété et la grosse dame lui confia son culte, né dans un concert populaire où j’avais chanté Stravinsky, Honegger, Milhaud, Poulenc devant quatre mille personnes dévouées au moderne. Mais ce n’était pas « la Musique moderne » qui avait conquis Madame Barella et son mari, c’était une célèbre page de Reynaldo Hahn que j’avais donnée comme bis. « Jamais, jamais, Signora » ― expliquait la grosse dame — « je n’avais entendu Infidélité chanté comme par Georgette Leblanc. » Les Barella connaissaient ma guerre avec Hearst et avaient résolu de consacrer leurs économies à mon lancement.


Ils se tenaient devant moi. Elle était vaste, noire, moustachue et ressemblait à une cloche surmontée d’un profil romain. Le mari, maigre, très maigre, fièvreusement agité, toujours à demi caché dans l’ampleur de sa femme, faisait penser au battant de la cloche. Deux visages fortement italianisés.

Barella disait avoir une grande expérience des concerts, ayant l’habitude d’en organiser à Brooklyn où ils habitaient. Elle était critique musical d’un journal italien.

J’acceptai l’offre de ces braves gens. J’étais en mains sûres.

Des entretiens parfumés à l’ail et à l’oignon se déroulèrent. Mais l’obsession du couple était « la distinction ». Rien n’était assez élégant. Mon début était leur début. La salle choisie fut Town-Hall, 44ième rue. Allen essaya de diriger la publicité, mais les Barella, enivrés d’ardeur, dépassèrent toutes les directions. En même temps leurs desseins restaient impénétrables. Ils firent passer des notes dans les journaux en caractères minuscules et sans avertissements. Aux remontrances d’Allen, Barella déclarait d’un air mystérieux : « ― Vous allez voir bien davantage. Attendez ma surprise. »

Trois jours avant le concert, Barella nous téléphona d’aller voir sa grande surprise dans Broadway et la 42e rue. C’était le centre des annonces commerciales.

Je me découvris dans le ciel, entre les Chewing-gum et les Savons. Le culte des Barella m’avait exhaussée jusqu’à