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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/134

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LA MACHINE À COURAGE

qui passe derrière le Château de la Muette. À gauche un vieux puits, à droite une grille ouverte. J’entrai. Le bruit mat de mes pas sur la pierre envahie par la verdure m’inclina tout de suite à l’émotion.

Au premier tournant j’aperçus l’hémicycle que forment les grands arbres autour du château. Par la découpure de leurs masses dans le ciel je compris l’étoile que l’on m’avait signalée ― étoile des avenues venant toutes vers cet ancien pavillon de chasse de Louis XV.

J’arrivai devant la façade en rotonde dont les degrés descendent vers une cour arrondie. Je vis la grâce des menus pavés, disposés en cercles jusqu’aux limites d’un jardin abandonné qui gardait ses formes dessinées par des rubans de buis autour de corbeilles jadis fleuries, maintenant occupées par une plante sauvage d’un vert maritime. Dans les hautes futaies j’entendis la conversation légère du printemps. Plus bas, au milieu des ombres, les troncs d’argent des bouleaux scintillaient. Des marronniers formaient le noble hémicycle qui m’avait tout de suite frappée. Ils n’avaient pas encore les mille cloches blanches qui tintent au bout de leurs rameaux et annoncent l’été, mais leurs palmes superposées s’étalaient, s’entassaient, couvrant leurs branches de masses impénétrables.

Je fis quelques pas dans le jardin. L’herbe couchée à intervalles réguliers indiquait le pas d’un cheval. Un ballon d’enfants traînait au pied d’un buisson. Un mouchoir de gaze mauve était accroché à une ronce. La fin du soleil traversait les taillis de pâles raies obliques. Un fragile cri d’oiseau soulignait la paix, et de toutes les choses une odeur ancienne montait. Je sentis que, pour moi, ce décor était posé dans l’attente d’instants heureux.

Le pavillon de la Muette, classé monument historique, appartenait au ministère des Beaux-Arts. Personne ne l’habitait depuis longtemps. « La réception est splendide, le reste est peu de chose », écrivait Mme de Pompadour à Voltaire. J’admirai en effet les grandes salles du rez-de-chaussée ― la rotonde élevée comme une nef d’église et ornée de boiseries