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LA MACHINE À COURAGE

« La Muette », automne 1930.

Grasset me propose d’écrire une préface pour mon livre « Souvenirs ». J’accepte. Il me remet certaines pages de mon manuscrit annotées de sa propre main. Elles attestent envers Maeterlinck une animosité grossière. Je proteste. « — Je n’userai pas de ces notes, déclare Grasset, laissez le génie faire son œuvre, vous la jugerez quand je vous la présenterai ».

Longtemps après il me lit trois pages de « son œuvre ». Je remercie par lettre et fais de graves restrictions verbalement — il me posait en revendicatrice, rien n’était plus loin de la volonté de mon livre.


Le 3 mars 1931. Grasset me donne enfin rendez-vous chez lui pour me communiquer les épreuves de son Introduction. Je lis… J’interdis.

J’allai chez mon avocat, Moro-Giafferi, et fus stupéfaite de le trouver plus au courant que moi-même de ma situation. Il donnait raison à Grasset et tentait de me convaincre. Sa grande habitude de manier le vide créait des arguments pour Grasset.

« — Mais vous ne connaissez pas le livre. Je n’ai rien revendiqué ! Je n’ai pas d’amertume, je ne veux pas être présentée en femme vengeresse, c’est idiot ! »

La figure qui était gravement tendue en face de moi subitement se frisa en chou, la bouche s’arrondit, les mains offrirent leurs paumes.

« — Voyons, Madame, ne faut-il pas présenter les choses avec un peu d’habileté. Un livre doit aguicher son lecteur. Le mot est un peu gros (il le souligna d’une main très dix-huitième) mais il faut voir la réalité telle qu’elle est — cette préface n’est pas gravée sur votre tombeau. Ce qui vous offense fera marcher la vente. »

Moro-Giafferi a pour lui ses acharnements, mais, pour les écouter, je ne suis pas un jury idéal. J’entendais sa voix dont il joue en virtuose, je regardais sa bouche aux volutes Louis