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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/144

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LA MACHINE A COURAGE

il est visible. On peut détester l’art qui le présente, mais qui oserait cracher à la face d’un poète vivant la négation de son amour… qui oserait en défigurer la qualité même s’il semble invraisemblable ou absurde ? Au tribunal de Londres, quand l’infame jury parlait à Wilde de l’amour « qui n’ose pas dire son nom », il n’aurait pas dit « l’amour qui n’est pas ».


Je ne ferai pas ici la critique de cette préface. Un écolier en relèverait les contradictions insensées. Chaque déclaration de Grasset montre sa mauvaise foi. Elle est à bascule, employée selon les besoins d’une cause incroyable ― celle d’un éditeur qui veut condamner son auteur…

Je m’efforçai de relire les épreuves. Je lisais du bout des yeux. Comment admettre que mes intentions, mes sentiments soient travestis par un Grasset ? Vanité de ma part ? Non. Ma vanité est plus grande que cela. Trois choses ont une grandeur constante ―la vie, l’amour, la mort.

Sans argent, je ne voyais pas d’issue : mon livre serait confisqué et Grasset publierait « son œuvre » avec fracas… Forcée d’accepter, je signai mon consentement à la vente. J’écrivis en regard de mes dédicaces « Prière de juger ce livre sur ce qu’il contient, non sur l’introduction ». J’appris ensuite que tous les exemplaires signés ainsi avaient été détruits sur l’ordre de Grasset.


Quatre jours de neige.

On m’avait priée de venir pour mon service de presse. Puisque j’avais admis la situation, j’en suivais le mécanisme.

Il neigeait. La forêt entourait le château d’un décor de marbre. Les arbres des allées cavalières élevaient des portiques solides sur le ciel. L’automobile avançait avec un bruit de mica. Je regardais sans voir ― impression de vide qui succède aux chutes. Mon être dépeuplé n’était que parois sensibles et sonores. Une fois de plus, avec mon angoisse, la neige légère tombait… et un autre jour de neige m’apparaissait… C’était dans une rue de Paris, cinq ans plus tôt. Je descendais d’un taxi contre un trottoir, et sur le trottoir passait, tout près,