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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/161

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LUTTE AVEC LA MORT

Je ne me connais pas le droit de sortir du danger comme j’y suis entrée, j’ai eu le cadeau de vivre sans le savoir, et sans le savoir j’ai vécu mon idée de la jeunesse, de la beauté, de la santé, du succès, de l’amour, du bonheur. Et c’est comme un esprit de justice qui a tout arraché de mes bras pour me forcer à comprendre… Vais-je comprendre plus loin ? Je le crois. Il s’agit de me le prouver.

Le bonheur que l’on a cherché et trouvé n’est rien. On fut heureux de le vivre, pourtant il a effacé la vie. Le terrain même du bonheur est illusion. Il n’en reste plus rien. Joies, jouissances, plaisirs se jettent dans le vide. Une histoire géographique — le grossissement d’un fleuve qui se perd dans la mer.


… Sauver sa vie. Sauver quoi ? Un bonheur ? Une gloire ? Et quand ce serait même une œuvre ? Ce ne serait pas assez. Cependant je veux vivre.

Il faudrait savoir pourquoi. Pour quel but ? Et, s’il y a un but ? Oui, je le crois.

Comment puis-je aimer tant la vie et la juger telle qu’elle est — monstrueuse humainement, inutile essentiellement. C’est que toute ma foi proteste en écrivant ces mots… Je sais qu’elle pourrait être un instrument miraculeux entre les mains d’un maître.



J’observais de toutes les forces de ma fièvre ce qui constituait mon noyau, que je ne voulais pas entièrement périssable. Je travaillais à le détacher de mon corps. J’aurais voulu pouvoir l’arracher et le jeter moi-même à son recommencement tout proche, pour que les risques du corps finissant ne l’atteignent pas.

« Votre tête marche tout le temps, » dit mon infirmière.

Je sais bien que si ma tête me quittait ce serait la fin. Je ne tiens plus à la vie que par une flamme : la passion.

Pour déplacer ma jambe droite je dois la prendre à deux