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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/162

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LA MACHINE À COURAGE

mains et la soulever comme une branche cassée. Demain peut-être mes mains n’en auront plus la force.

Je ne vois presque plus ce que j’adore. J’ai entendu dire par l’infirmière : « Il est midi ». Moi, je parlais à la nuit. Elle est simple, sans lune, sans ornements. Sur la terre les fleurs se reposaient d’être sans couleurs. Je les devinais à leurs parfums endormis.


Dans une nuit de fièvre j’écrivis deux poèmes :

CARTE POSTALE.

Échappés de Chartres dans la nuit du vingt janvier 1934,
les anges-mains sont venus pour me chercher.
Ils pouvaient prendre la route du ciel
mais ils ont préféré la voiture Citroën.
Tu sais que le monde ne voit rien d’essentiel
et cela facilite grandement la vie des anges.

Par paires — ils étaient vingt-quatre ―
ils se tenaient en couronne autour de mon lit,
mains en forme de palme,
doigts attachés comme des secrets,
tous légèrement poussés dans le même sens
par la même brise de grâce
garniture de petites nageoires
surgissant d’une écharpe de plis éternels.

À leur question, j’ai répondu ―
« Je voudrais simplement voir du côté de la mort ;
quand j’y suis allée l’autre jour,
je n’avais plus les yeux ouverts. »
Ils m’ont couché sur un lit
où les baldaquins de pierre
sont ordonnés pour l’éternité.
Je suis devenue plate comme une image
et nous sommes partis à travers les nuages.