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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/181

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LETTRES À UNE JEUNE ÉTUDIANTE

sence. Depuis, j’ai compris le mal que cela peut faire aux autres et à soi-même. Attitude à contre-vie…

Vais-je encore découvrir dans ces pages cette contrainte que je hais et que je n’ai jamais lorsqu’un poème se présente à moi, se forme par moi et s’en va de moi tout simplement… Pourquoi ne pas écrire en prose avec la même simplicité ? Je ne sais pas.

Margaret me dit :

« — Écris donc ce que tu viens de me dire, c’est plein de “personal information” ».

Puisque ma nature, elle, n’a pas diminué, puisque rien n’a ralenti en moi avec le temps, je dois m’exprimer comme je veux. Je dois arriver à écrire cette matière qui seule me passionne — l’information personnelle.


1

L’état d’Art


… J’aimerais vous parler de la mystérieuse matière que l’on appelle « art ».

Vous me dites que Mademoiselle X… est une artiste. Je suis choquée, comme je l’étais autrefois quand je ne savais pas encore de quoi je souffrais en écoutant des gens de talent dénués de tout sens d’art. Vous ajoutez qu’elle vit en artiste. Mais l’apparence n’a rien à voir dans l’affaire… et qu’est-ce que ça veut dire — « vivre en artiste » ? Songez à Mallarmé — en apparence un monsieur comme les autres. Dans la vie, un modeste professeur d’anglais, personne ne l’eût remarqué dans une foule. Mais les heures que j’ai passées avec lui, dans la petite chambre où il travaillait, sont fixées dans ma mémoire. Assis devant un fragile bureau de femme, une couverture écossaise sur les épaules, il m’exposait sa théorie du langage imprimé. Je comprenais obscurément, à vingt ans c’était difficile et j’étais trop éblouie par sa pensée ; mais