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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/189

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LE CHANT

démiques, alors que j’attendais de lui, au pupitre, un voyant. Mauvaise chance ou réalité… peut-être était-ce la maladie… ou bien notre entente musicale venait-elle d’un tempérament qui se superposait à un autre. Je le rencontrai alors dans un salon et ne reconnus absolument pas celui que l’on taxait de folie dix ans plus tôt. Mais je dois dire qu’à cette époque je ne le vis que dans le monde et le monde déforme ce qui existe. Le certain pli de sa bouche était toujours là, seule sa magnifique intransigeance semblait prisonnière.



On m’avait dit en me parlant d’André Caplet : « C’est l’homme le plus laid du monde. » Il ne sut jamais pourquoi mon regard scrutait son visage quand je le rencontrai pour la première fois. Je me demandais comment on peut avoir des traits sans ligne, sans couleur et être si charmeur. On prétend que la sympathie arrange tout. Ce n’est pas vrai, elle n’arrange rien si elle est seule ; si le charme intervient alors tout change. Ce charme surprenant d’André Caplet, son jeu en était pénétré. Il jouait comme le chat marche. Sa technique était feutrée, le dessin musical très précis et vu de très près s’indiquait par le détail. Debussy avait raison de dire :

« — Caplet, c’est la musique même. »



Octave Maus m’accompagnait divinement — malgré sa parfaite musicalité. Vous êtes choquée par ce « malgré ». Je n’ai aucun respect pour la parfaite musicalité — elle peut s’acheter, l’art est toujours donné. Mais Octave Maus ne pouvait pas sombrer dans sa science parce qu’il était un maître coloriste. Il jouait comme peignait Van Gogh. Ses yeux actifs le gardaient d’une virtuosité qui aurait pu être prépondérante. Il y avait de la couleur au bout de ses doigts.