Aller au contenu

Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/191

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
175
LE CHANT

Il était toujours dans un état d’exaltation qui rendait cette moitié d’homme plus totale que les autres.

Je le revois encore dans un concert à Montpellier où il avait voulu m’accompagner dans ses œuvres. Je revois sa difficile manière de marcher et de monter sur l’estrade, sa pudeur vaincue par l’amour de la musique. Sa vraie humilité était possédée par un dieu. Je lui ferais injure en parlant de modestie — il ne se doutait pas de son infinie valeur. C’était une figure du moyen âge. Un donateur. Dans certaines mains l’art est oblique. Dans la main de Charles Bordes l’art était sain et droit.



Reynaldo Hahn prend son auditoire dès qu’il se met au piano. Et ce n’est pas seulement son charme qui opère, c’est aussi une science à laquelle il ne semble pas toucher. Il a un pouvoir enveloppé de nonchalance, chante divinement et fume en même temps des cigarettes.

Son accompagnement est une atmosphère, il peint avec des vibrations. Un soir qu’il m’accompagnait en public, avant une de ses mélodies, je me penchai vers lui :

« — Dans ces pages, je fais parfois un petit changement, mais aujourd’hui… »

Il m’arrêta.

« — Ce sera très amusant au contraire, nous verrons si je devine… »

Je n’imaginais pas qu’un auteur pût avoir une modestie si supérieure.

Mais on ne connaît pas Reynaldo Hahn quand on ne l’a pas entendu diriger du Mozart. Là, il y a pour moi un mystère — comment être si net et si estompé… irréductiblement solide et subtil comme un parfum.



Paul Dukas. Ramassé, tassé, concentré. Rien ne dépasse, rien ne s’offre et même le facies recule. La volonté maintient