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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/193

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LE CHANT

cupe au delà du livre, l’être en toutes choses et derrière la vie « présentée »… présentée comme on dresse, au cirque, les animaux.

Une voix dans une salle, une cloche dans le ciel, c’est beau, mais je ne parle pas de cela. Je ne parle pas non plus du miracle mécanique des vocalises dans un gosier. Ici, je ne comprends pas et l’ennui me prend. J’aime mieux le rossignol. Pourtant s’il était isolé de sa saison, arbres et lunes, ou de ses premiers essais dans les crépuscules froids — surprise désassortie et quasi divine — je crois que je ne l’aimerais plus.

Je parle de la voix-miracle — unique expression d’une essence humaine. Seule issue pour l’esprit qui sait l’irréalité des mots, différents pour chacun. J’ai toujours regardé ma première vie, celle qu’on ne sait pas vivre, suivre le courant comme un bouchon sur l’eau, et ce courant était le flot des vibrations. Du jour où j’ai entendu ma voix, elle a passé devant moi. En face de l’amour, elle m’a fait prendre un double chemin pour n’être pas abandonnée. En Amérique, quand je n’avais pas de quoi vivre, elle a nourri ma vie et la sienne.


3

Le Dessin.


Mes yeux n’oublient rien de ce qu’ils ont aimé. Ce sont des musées. Je m’y promène quand je me repose ou que je suis malade. Ils sont pour moi des garanties de félicité. À cause de cela je n’ai jamais été ennuyée d’attendre quelqu’un ou de manquer un train. Je peux toujours partir où je veux sans bouger. Je n’ai pas besoin de feuilleter un illustré chez le dentiste, on peut prendre mon tour. Je ne connais pas cette sorte d’impatience matérielle. Mon musée est là, plus bourré à chaque minute. J’y vois des mains, des regards, une nuque, une plantation de cheveux, un sourire, une démarche et des mains, des mains, des façons de tenir un objet sans avoir l’air de le tenir, mains de peur, mains de pudeur…