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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/202

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LA MACHINE À COURAGE

il faisait cela… Je lui parlais ainsi, il me répondait ainsi… » Le corps est écartelé. Chaîne brisée des mouvements habituels qui souffrent à leur tour. Ils m’apprennent la nouvelle — nous l’apprenons par étapes de plus en plus précises. Souvenir par souvenir, mot par mot. Une douleur de racines arrachées. Quelque chose de si fortement terrestre que je ne peux plus tout à coup regarder une fleur ou un arbre. Mon corps est écrasé sous le poids des habitudes écrasées. Je me débats, je ne veux pas admettre l’esclavage des habitudes en déroutes. Mais je consens au supplice corporel qui resserre mes liens avec les forces de l’univers. Ici, je me sens petite et divinisée par ce qui me dépasse : la mort — ce qui était… ce qui n’est plus. C’est là que je dois travailler pour faire de ce qui m’advint un peu de connaissance.

Maintenant les années s’écouleront entre les dernières stations. Ce que je vivrai encore du drame ne sera pas moins intense, mais intermittent, coupé par un présent qui tend à monter et à submerger le passé.


6

Jalousie.


Vous me parlez de la jalousie ? Je ne connais que la jalousie animale — celle qui est muette. Ses manifestations sont absurdes et folles, mais non sans une certaine grandeur.

Hier, tout le jour, hantée par des souvenirs de jalousie. Je plains les gens qui n’ont pas connu ça. Elle m’a beaucoup appris ; elle m’a révélé que je suis liée à la terre, aux planètes, à l’univers.

Crime passionnel… Ils sont drôles, les jurés qui parlent de préméditation. Le mal est rapide ou lent — c’est tout. Ceux qui parlent ne sont pas jaloux. Ceux qui pleurent ne sentent rien. La jalousie dépasse nos bords. Pas de place pour un éclair. Tuer pour respirer…

J’étais dans un salon, ma main droite scellée au dossier