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JALOUSIE

d’une chaise. Je regardais à droite et… la chose se passait à gauche. Il parlait à sa maîtresse. Rien que des mots, mais j’étais tirée si violemment à gauche que je ne sentais plus la main qui me maintenait à droite. Mon corps devenu fer ne savait plus marcher. C’était un corps sans tête. Il fallait le tenir debout, mouvoir mes jambes l’une après l’autre… un, deux, marcher. Un escalier lumineux, une rampe de marbre blanc. Mes yeux voyaient sans voir, mes pieds descendirent. J’appuyai mon épaule contre le mur, mon bras glissa sur la rampe froide. Mon apparence descendait comme les autres. Un palier sous un lustre, puis encore des marches. On me parlait, mes lèvres répondaient. Lui était resté en arrière avec elle. Toutes mes cellules écoutaient. J’entendais ce que personne ne pouvait entendre. J’étais dans l’espace qui va de moi à la terre.


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Passion.


Et vous voulez que je parle de la passion ? La passion qui entraîne tant de saletés dans son torrent a des délicatesses de génie. Elle est chez l’homme la seule manifestation de l’innocence. Ce qui est révoltant c’est de voir que toujours la réprobation s’attache aux récits de la passion. Excuser la passion — quelle horreur ! On dit qu’il faut plaindre, qu’il faut comprendre. La beauté est qu’il n’y a rien à comprendre mais seulement à regarder et à envier. Je serais désespérée de mourir sans avoir connu ce cyclone. Je le respecte. Passion : force de vitesse acquise. Une course insensée où l’on court après soi en croyant courir après un autre. C’est sa noblesse qu’aucune force humaine ne puisse l’arrêter.

Les ascètes, les missionnaires, les martyrs chrétiens l’ont connue. Ceux-là on les sublimise, c’est pourtant le même ressort qui fonctionne en faveur d’un autre humain — quels que soient leur cause et leur but. La passion est toujours