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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/204

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LA MACHINE À COURAGE

immolation. Celui qui tue, celui qui est tué, sont également victimes.


La passion : une barre de fer dans le corps comme dans les instants de jalousie, mais un mal différent, moins intense puisque plus conscient : cuire à petit feu au lieu de cuire à grandes flammes. C’est la faim des sens, semblable à celle d’un estomac qui n’a pas à manger. Je ne savais pas que j’étais aussi physique. Une faim féroce. Une faim de bonheur, comme si je ne l’avais jamais connu. Une férocité d’avoir la chose heureuse sur laquelle le corps a compté. La vie physique de l’imagination est là. Si le bonheur souhaité est loin, inaccessible, c’est presque la paix. Mais être privé de celui qui est tout près, qui doit arriver, c’est mourir de faim devant une table somptueusement servie. Intolérable à mon tempérament…

La pleine lune est venue, un bateau s’est arrêté, sur le pont on jouait des valses. Soudain des étoiles ont glissé à travers le ciel. Pluie de lumières… Je ne pourrai jamais dire ce que je ressentais devant cet étalage insolent de splendeurs. C’était un outrage insupportable. J’ai voulu forcer mes yeux à regarder, mes oreilles à entendre, et je tenais mon corps, face au ciel, comme on tient un animal qui doit subir une opération.


La citation de Paul Valéry sur la volupté est répugnante. Je n’imagine pas cet homme amoureux ; son cerveau me plaît et je goûte beaucoup ses spéculations, mais qu’il est frigide et même dans le sens de l’amitié, il donne au compte-goutte.

La volupté est belle quand l’animal humain est beau et qu’il sait en jouer. Je n’aime pas la frénésie, toujours pleine de fausses notes ; mais la vraie passion quand elle garde de la mesure peut être admirable. Deux mots qui me semblent incompatibles — passion et mesure ? Pourtant, toutes les grandes choses en sont faites. Le débordement n’est jamais que du gâchis. La passion contrôlée est une symphonie à grand orchestre, une parfaite pensée de Pascal est taillée dans cette matière-là, et tous les chefs-d’œuvre des génies. C’est dans la création,