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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/213

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VERS LE BUT

quelqu’un est grand, plus on le voit partiellement. Si j’arrive à le distinguer un peu, c’est que je l’étudie depuis longtemps.

Je pense qu’en effet Katherine Mansfield cherchait une vie spirituelle. Elle n’était pas pieuse, pourtant elle avait besoin d’un rachat. Elle qui était « pure », avait la préoccupation d’un système de pureté. Elle était pure, et ne le savait pas. Savoir est tout. C’est la faute de ce qu’elle cherchait qui, naturellement, fut ce qu’elle a trouvé. Elle cherchait une vie spirituelle — vie spirituelle dépouillée de religion. Ce n’est pas beaucoup. C’est le premier stade en dehors de l’enveloppement religieux. Ce n’est pas la peine.

Sa grandeur était de vouloir le vrai. Elle n’a pas vu que Gurdjieff lui offrait au delà… c’est-à-dire la connaissance. Évidemment, c’est la vie spirituelle mais ce n’est pas seulement cela. La vie spirituelle, c’est encore nous-mêmes. La connaissance est en dehors de nous-mêmes. Ce vrai dont elle avait un besoin magnifique restait trop attaché à la vie — à celle faite par les hommes ; là, le vrai et le faux n’ont pas beaucoup d’importance puisque les deux ne sont quand même que singeries. C’est plus loin que tout commence, là où il n’y a pas de démarcation entre vie corporelle, vie mentale et vie émotionnelle. Ces vies devraient fonctionner en même temps — c’est pourquoi elles furent créées. Mais nous les avons divisées par impuissance. Quand nous sentons, nous vivons mal ; quand nous pensons, nous ne sentons plus ; quand nous vivons, nous ne sentons ni ne pensons.

Je crois que le subconscient de Katherine, averti de sa mort prochaine, l’a précipitée vers une idée consolante et dépouillée de l’apparat religieux qui l’eût éloignée ; mais en vérité elle a puisé chez Gurdjieff une force religieuse qui lui a fait dire « Tout est bien », et lui a prêté une résignation. Or Gurdjieff n’est pas consolant. Il est mieux. Ce qu’il apporte est dur comme Jésus, si l’on retourne à sa source. Il n’y a pas de vérité complaisante. Je pense que la première condition pour approcher Gurdjieff est d’être en pleine santé. Il faut être en mesure de supporter les premiers chocs. Il y a surtout l’inconcevable torture de se sentir une terre que quelque chose commence à labourer. Tout à coup nos forces sont employées