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Page:Leblanc - La Machine à courage, 1947.pdf/235

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POSTFACE

reuse. Toutefois elle s’opposa à une intervention immédiate et ce ne fut qu’en septembre aux premiers jours de la guerre que le docteur de Martel l’opéra.

Un mois plus tard nous partions pour Hendaye, d’où nous projetions de retourner à New York. Mais les visas étaient difficiles à obtenir et pendant que nous attendions, nous passions le temps à écrire, à causer, à nous promener au bord de la mer, discutant la dernière partie du manuscrit de Georgette : Vers le but. Le livre fut achevé au printemps jusqu’à la dernière page écrite au Phare. Mais elle n’était pas satisfaite de ce dernier chapitre. Comment décrire en quelques pages « l’eau vive » qu’elle avait reçue ?

Elle chercha à résoudre ce problème pendant les longues soirées où tombait cette pluie fine qui fait d’Hendaye le parfait village d’automne. Quand elle ne pouvait arriver à faire concorder ses mots avec sa pensée elle s’arrêtait et s’amusait à dessiner des caricatures pour son petit neveu de huit ans, Roland de Jouvenel. Elle avait commencé une série de dessins sur les aventures d’un ours polaire nommé Victor. Roland attendait l’épisode quotidien et jamais Georgette ne le déçut. Elle était assise à côté d’une petite cheminée dans notre petite villa tout près de la mer, et elle travaillait à son dessin avec le soin méticuleux qu’elle apportait à tous les produits de l’imagination. Monique et moi, nous entendions par moment son rire radieux éclater chaque fois que l’ours Victor la surprenait par ses attitudes malicieuses.

Le jour de Noël nous avions fait une longue promenade sur la plage, regardant les vagues se briser à nos pieds. Comment pouvait-elle être si gaie ? Comment pouvions-nous l’être ? À l’heure du thé, deux aimables voisines, qui elles aussi, cherchaient « la vie », sont venues. Elles avaient vécu toute leur existence à Bordeaux. Là, elles avaient entendu Georgette chanter, il y avait presque cinquante ans — jeune, belle et ardente. Maintenant, elles l’entendaient, encore belle et ardente, parler de Gurdjieff. Elle leur lut Vers le but et elles demandèrent si elles pourraient revenir et en entendre davantage.

En février, Georgette devint si faible que nous nous décidâmes à abandonner notre solitude pour nous rapprocher de Cannes et des amis. Ils nous trouvèrent un « chalet rose » au Cannet, perché sur la colline, parmi les mimosas, les oliviers, les pins au travers desquels la Méditerranée scintillait. Un médecin assura à Georgette que son opération avait parfaitement réussi. Il nous révéla qu’elle ne pourrait vraisemblablement survivre plus de six mois.