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L’AIR FÉMININ DE LA RACE

sur un corps mal taillé. Mais ses yeux s’enfonçaient droit dans les miens, son sourire et ses mains tendues étaient sans restriction. Elle connaissait ma situation et voulait m’aider, sa mère avait d’importantes relations.

« — Puisque vous êtes mal logées, venez chez nous, nous avons un étage pour les amis. »

Je l’écoutais un peu ahurie, ne sachant pas comment situer cette personne qui semblait si libre, n’était pas une artiste et vivait avec sa mère. Je risquai une question.

« — Mais je suis une jeune fille américaine. Vous n’en connaissez pas ? Voilà, étudiez-moi. Venez demain à la maison avec votre poisson rouge. Si cela vous plaît, vous déménagerez. »

Le lendemain matin elle sonnait chez nous, un panier au bras.

« — Je suis venue tôt pour vous apporter des petits pains français que l’on fait à la maison… je suis sûre que vous ne mangez pas bien. »

Elle était venue dans la tempête, enveloppée d’un caoutchouc et tête nue. Je la regardais déjà comme une amie, ignorant que la générosité américaine est semblable à celle des enfants. On aime tout de suite, on le prouve et on oublie aussi vite. Je promis de venir dîner avec Monique, mais sans mon poisson.

« — Aoh ! pourquoi ? ça ferait tant de plaisir à maman de voir une poisson française. »


Le soir, un domestique en livrée nous précéda dans les salons. Dans la salle à manger le maître d’hôtel, bien articulé, ouvrit une porte à deux battants. La mère parut, petite, mais grande par l’allure, hystériquement raide par la tenue, mais affable dans l’accueil. Elle m’exprima sa sympathie dans le plus pur français. Elle s’empressa de me dire qu’elle était Anglaise et détestait les Américains, que sa fille avait hérité toutes les tares américaines de son défunt père, qu’elle ne pouvait supporter la bonhomie grossière de cette race.

« — Maman et moi, disait Marjorie, nous disputons toute la journée, ça n’a pas d’importance, nous sommes très bien